Le Pays Malouin

Alain Roman : « Si Bourges n’avait pas été candidat, qu’est-ce qui se serait passé ? »

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L’historien local et ancien élu Alain Roman nous raconte comment il a vécu la fusion des trois villes en 1967.

Vous viviez à Saint-Malo au moment de la fusion ?

Je ne suis pas né à Saint-Malo, mais j’y suis arrivé en 1963, à 21 ans, à un moment où l’on commençait à parler d’une éventuelle fusion. Mais très honnêtemen­t, je ne m’y suis pas intéressé au début. J’étais jeune, j’avais d’autres préoccupat­ions.

Mais l’année 67 a été une année très riche, où j’ai commencé à m’intéresser à la politique. La fusion, on en parlait de plus en plus. Et puis tout d’un coup, le décret est tombé, les trois conseils ont été démissionn­és fin octobre avec une élection dans la foulée le mois suivant. Il n’y a pas eu un mouvement de protestati­on ?

Non. Il s’est tout de même posé la question : pourquoi aussi vite ? Car les gens pensaient qu’on pouvait attendre un an ou deux, même les partisans de la fusion. Quand on a appris qu’Yvon Bourges quittait son poste de maire de Dinard, pour briguer la mairie de Saint-Malo, tout le monde s’est dit : si on fait vite, c’est pour favoriser Yvon Bourges ! Et pour la plupart des gens de Saint-Malo, Saint-Servan ou Paramé, ça a fait tilt : pourquoi prendre un ministre, qui plus est de Dinard, pour devenir maire de Saint-Malo ?

Il y a donc eu un réflexe antidinard­ais général ?

Absolument. Moins dans le vieux Saint-Malo, mais à Paramé pas mal et à Saint-Servan à fond. C’est surtout de cette réaction épidermiqu­e dont je me souviens : si c’est comme ça, on va voter pour l’autre ! Marcel Planchet en l’occurrence (1). Et les résultats semblent le montrer en effet…

Oui, car Yvon Bourges a pris une grosse veste ! On peut presque dire, avec le recul, que c’est Bourges qui a fait la fusion, malgré lui. Pour donner un exemple, il y avait une liste communiste et la moitié de ses électeurs a voté directemen­t pour Planchet. A Saint-Servan cela a été un raz de marée pour Planchet, avec 4000 voix d’écart ! A Paramé, l’écart a aussi été significat­if. Il n’y a qu’à Saint-Malo où Bourges est arrivé en tête, mais seulement d’une cinquantai­ne de voix. Je me pose d’ailleurs la question : s’il n’avait pas été candidat, qu’est ce qui se serait passé ? Cette réaction contre Yvon Bourges concernait-elle tout le monde : population et élus ?

La population sûrement. Les élus étaient partagés. Certains se sont dit : chouette, un ministre, on va le soutenir. Mais pour beaucoup, ce parachutag­e, pourtant très proche, a fortement déplu.

Plus que l’idée de la fusion elle-même ?

Oui. Parce que la fusion, les gens l’acceptaien­t assez bien. Pour des raisons très simples et pratiques : la répartitio­n des collèges, la voirie, l’eau…

Sentiez-vous tout de même des différence­s au sein des population­s des trois villes ?

Moi, j’avais habité à Saint-Servan et Saint-Malo. Et je n’ai pas vu de différence­s. Il y avait la vie de quartier dans chaque endroit, un point c’est tout.

Mais vous n’étiez pas originaire de la région. Qu’en était-il chez ceux de souche ?

C’est vrai que les anciens étaient plus querelleur­s. Notamment les Malouins et les Servannais. C’est une vieille histoire qui remonte à avant la Révolution quand Saint-Malo a voulu maintenir Saint-Servan à l’état de faubourg, puis à la constructi­on du port moderne au 19e siècle. Ces deux facteurs ont dressé une partie de la population l’une contre l’autre.

Paramé n’a jamais joué ce jeulà. Paramé, c’est un cas très différent, puisque ce n’est devenu une ville qu’autour de 1900 et elle a gardé un esprit rural. Est-ce que ce sont justement les Paraméens qui ont facilité le rapprochem­ent des trois villes ?

Peut-être. Entre autres choses. Le maire de Paramé, Georges Coudray, avait été député. Il était plutôt d’un bon abord, sympathiqu­e, liant. En général, ça se passait bien avec lui, d’après ce que j’ai lu, que ce soit du côté servannais ou malouin.

Il semblerait tout de même que les Malouins étaient plutôt hostiles au départ à cette fusion ?

Oui. Enfin, les élus malouins. Une majorité était au départ hostile à la fusion. Pourquoi ? Parce que Saint-Malo avait la richesse. Et que dans le cadre de la fusion, il allait falloir la partager. Il y avait cependant une minorité très active, représenté­e notamment par Jean Videment, qui estimait que la fusion était une nécessité.

Pourquoi ?

C’était la grande mode de l’industrial­isation. Mais pour industrial­iser, il faut déjà un certain poids, en terrains, en population etc. Une bonne partie des acteurs économique­s pensaient que la fusion allait donner du poids à la ville.

« Si c’est comme ça, on va voter pour l’autre ! » « C’est vrai que les anciens étaient plus querelleur­s. Notamment les Malouins et les Servannais. »

Et après les élections, y a-til eu une réaction ? Quand on a dit aux gens : vous êtes tous Malouins.

Je ne sais pas. Mais il ne faut pas oublier que quelques mois après les élections, c’était Mai 68. Ça a eu tendance à faire oublier le reste… D’ailleurs, lors des manifs qui ont eu lieu, les gens ont participé dans un camp ou dans l’autre, mais sans se demander qui était de SaintServa­n, Paramé ou Saint-Malo.

Nicolas EVANNO

(1) Trois listes se présentaie­nt, celle d’Yvon Bourges, de Marcel Planchet (ancien maire de SaintServa­n) et la liste communiste de M. Lemaître.

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