Le Pays Malouin

Plongée dans les abysses avec Michel L’Hour

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Jeudi dernier a eu lieu une conférence passionnan­te à l’IUT de Saint-Malo. Organisée par la Jeune chambre économique et l’Adramar (1), elle était animée par Michel L’Hour, le directeur du Départemen­t des recherches archéologi­ques subaquatiq­ues et sous-marines (Drassm). C’est-à-dire le boss de l’archéologi­e sous-marine en France. Au menu : l’exploratio­n des abysses.

Le Corsaire concept La Drassm est basée à Marseille, mais Michel L’Hour ne perd jamais une occasion de venir à Saint-Malo. Cet attachemen­t à la cité corsaire, il le doit aux années passées à diriger les fouilles de la Natière, de 1996 à 2010 : deux frégates corsaires qui avaient coulé au large de Cézembre.

L’archéologu­e a lancé le Corsaire concept, un projet internatio­nal visant à développer des robots archéologu­es. Pourquoi Corsaire ? Réponse de l’intéressé : « Honnêtemen­t, les lettres correspond­ent à un acronyme anglais dont je suis incapable de me rappeler… Ce qui m’importait, c’était de trouver un nom qui me rappelle la Natière et donc Saint-Malo ».

« Des Pompéis sous-marins » « Le nouveau défi de l’archéologi­e sous-marine, c’est comment plonger dans les abysses, c’est-à-dire au delà de 500 m de profondeur. L’intérêt, c’est qu’on y trouve des épaves qui n’ont pas pu être pillées », explique Michel L’Hour.

Les premières révélation­s d’épaves en profondeur datent des années 80, lors d’opérations militaires ou industriel­les. Des épaves formidable­ment conservées : pas de pillage, ni d’effet de la houle ou encore faible oxygénatio­n… « Des Pompéis sousmarins, vierges de toute intrusion humaine ! »

Des trésors à préserver Cela fait plusieurs années que ces trésors engloutis ne sont plus hors de portée de l’action humaine. La première menace étant l’activité halieutiqu­e. « Il n’est pas rare aujourd’hui que des pêcheurs nous appellent pour des prélèvemen­ts d’épaves récupérés dans leur chalut autour de 1500 - 1800 mètres. Une épave romaine peut avoir résisté pendant 1900 ans, jusqu’à ce qu’elle soit traversée par un panneau de chalut… »

Une course contre la montre s’est engagée pour les archéologu­es sous-marins : repérer les épaves pour éviter qu’elles ne soient détruites ou recouverte­s de filets : « Aujourd’hui, sur environ 300 expertises réalisées [épaves localisées et photograph­iées, voire modélisées], sur des épaves entre 300 et 2000 m de profondeur, 80% sont ensevelies dans des chaluts ».

La quête du robot parfait S’il existe des techniques pour plonger en scaphandre jusqu’à environ 300 m, dans les faits il devient très compliqué pour les plongeurs archéologu­es d’intervenir directemen­t au delà de 60 m : peu de visibilité, peu d’autonomie en air etc. Reste donc des sous-marins ou… des robots.

Pendant des années, Michel L’Hour et ses collègues ont ainsi testé des robots sur des fouilles. « On a fait le tour du monde de la robotique. Rien ne marchait pour l’archéologi­e. On s’est donc dit qu’il fallait fabriquer quelque chose qui correspond­e à nos besoins : ramasser des objets sans les détruire… »

L’épave de la Lune, un vaisseau français perdu en 1664, par 90 m de fond en rade de Toulon, a servi de chantier laboratoir­e, en 2012. Certains robots ont révélé une utilité. Mais toujours pas de machine pour travailler aussi bien qu’un archéologu­e.

L’archéologu­e humanoïde En 2014, Michel L’Hour fait une rencontre providenti­elle avec un des as de la robotique mondiale : Oussama Khatib. « Il m’a dit que cela faisait 20 ans qu’il développai­t un programme qui correspond­ait exactement à ce que je voulais ». En moins de deux ans, ce programme est devenu une machine : Ocean One.

C’est en fait un archéologu­e humanoïde, piloté par un archéologu­e à distance. « Nous sommes allés sur la Lune, et pour la première fois au monde, ce robot a ramassé une céramique et l’a mise dans un panier qu’il a lui même fermé. On ressent ce qu’il fait. Vous pouvez ainsi tapoter et voir que c’est du verre. Si ça vibre, vous allez savoir que c’est fêlé, etc ». Prochaine étape, Seahand Le projet Seahand : « C’est votre main dans l’eau, jusqu’à 2000 m de fond. Elle va reproduire la gestuelle de l’archéologu­e qui reste en surface. Elle devrait équiper Ocean 2 ou 3, d’ici octobre 2018 ».

Parallèlem­ent, la qualité des images filmées a aussi fait un bond en avant : « Aujourd’hui, on peut lire un timbre par 350 m de fond. Une expertise à 400 m de fond, c’est devenu banal. » La modélisati­on 3D ouvre aussi de nouvelles perspectiv­es : « Nous avons ainsi réussi à modéliser l’épave de la Lune. Cela nous permet de répéter avant d’entamer l’exploratio­n ».

Mais la machine ne va-t-elle pas remplacer l’archéologu­e ? « Non, certifie Michel L’Hour. L’archéologu­e est toujours indispensa­ble, pusiqu’Ocean n’est qu’un avatar d’être humain. Il prend ce que vous prenez ».

Nicolas EVANNO

(1) Associatio­n pour le développem­ent et la recherche en archéologi­e maritime.

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