Dynalec libère la parole
La SCOP de Taden, près de Dinan, est engagée sur le chemin de l’entreprise libérée. Dernier avatar de son expérimentation, le « Labo », bulle d’expression dans laquelle l’ensemble du personnel est invité à livrer son ressenti, ses attentes et ses espoirs.
Il est semé d’embûches, le chemin qui mène à l’entreprise libérée, méthode managériale moderne qui vise à encourager les initiatives individuelles pour un épanouissement personnel au travail. À Taden, sur la zone des Alleux, Dynalec, entreprise spécialisée dans le montage d’armoires électriques, s’y essaie. Par son mode de management et par ses expérimentations (chasse au gaspillage ou « lean », potager en permaculture - lire Le Petit Bleu du 27 juillet-), la Scop, société coopérative et participative, ne manque jamais d’étonner.
Dans cette société reprise par son personnel (12 des 14 salariés sont associés), on parle de collabor’acteurs, d’intra-preneurs, de scop-étences, d’innovation managériale. Mais dans sa quête du bonheur au travail, l’entreprise a vécu une mini-crise de croissance voilà quelques mois. « J’ai senti monter des réticences », admet Fabrice Audrain, le directeur général, qui a d’ailleurs pu éprouver le sentiment d’être luimême contesté, « une sorte de rébellion sous-jacente, une forme de remise en question de notre projet. Il fallait libérer les paroles. »
Sur terre et sur la planète Dynalec
Alors, une journée entière, Dynalec s’est réuni, « pour tenter un bilan de ce qu’on avait déjà réalisé. Et on s’est rendu compte qu’on avait déjà parcouru beaucoup de chemin. Il fallait juste le voir. Mais clairement, ça montrait quand même qu’on arrivait à une période charnière de notre développement », avait alors analysé Fabrice Audrain. Une revendication avait émergé, « le besoin éprouvé par chacun de prendre toute sa place dans l’entreprise, une envie d’autonomie », mais aussi une volonté commune, « celle de co-construire l’avenir de notre entreprise. »
Alors il a inventé le Labo, bulle d’expression où l’ensemble du personnel, même les intérimaires, est invité à se livrer, une fois par mois (deux groupes), pendant une heure. En gros, des réponses à apporter à deux questions majeures : qu’avezvous fait sur le plan personnel pour faire avance Dynalec ? Qu’avons-nous fait collectivement pour faire avancer Dynalec ?
Mais il aurait été trop simple de s’en tenir à cela. Il doit rester une trace, alors les propos des uns et des autres sont couchés sur le papier. Non pas comme un simple compte-rendu de réunion ou un vulgaire résumé, mais plutôt comme une histoire qui se narre, selon un déroulé qui avance. Et tant qu’à faire, dans deux versions, l’une, la vraie, sur terre ; et l’autre réécrite sous forme d’une fable et qui se passe sur une planète imaginaire appelée… Dynalec, laquelle est menacée par les habitants d’une autre, appelée « K », lettre souvent utilisée comme abréviation de… capital.
Dans cette fable, écrite par une intervenante extérieure, donc neutre, chaque Dynalécien s’est créé son propre avatar, pour devenir Aranwë ou Libéria, Action Man ou Braveheart, Master Mind ou encore L’homme invisible.
Le chapitre 19 a été rédigé au début du mois d’octobre, consultable, comme les précédents, sur le site internet de l’entreprise (*). On y découvre, entre autres exemples, qu’à propos du potager évoqué plus haut, quelques tensions ont pu apparaître ; que le mur qui sépare l’atelier des bureaux est mal vécu par les uns quand les autres ne le voient même pas ; ou encore que le rôle du boss mériterait d’être éclairé, considère quelques-uns, même si tous s’accordent à reconnaître son rôle de pilote et de garant d’une vision (c’est écrit). Chez Dynalec, la parole est vraiment libérée… Et tant pis si ça fait un peu défouloir.
Leroy Merlin et Kiabi, observateurs attentifs
Mais on apprend aussi que « le groupe de travail sur la redéfinition de la politique salariale a visiblement bien avancé », version terrienne de l’histoire qui devient, une fois traduite sur la planète Dynalec (la version fable) : « Le sujet sur le partage des richesses qui traîne un peu comme un caillou dans la chaussure depuis plusieurs lunes, semble enfin approcher de la fin. »
Oui, mais quel est le but de tout cela ? « C’est un acte managérial, qui vise à responsabiliser tout le monde. Dans une entreprise libérée, il n’y a pas un leader mais des leaders. Il faut faire rimer innovation managériale et développement économique dans une démarche intergénérationnelle et de développement durable », explique Fabrice Audrain. « Sans utopie, s’empresse-t-il de préciser, le but, c’est de pérenniser les emplois et l’environnement ».
Les défenseurs de méthodes de management plus pyramidales et classiques seront peutêtre sceptiques. Deux groupes d’envergure nationale, Leroy Merlin et Kiabi, ont, eux, manifesté leur intérêt et leur curiosité pour l’expérience menée chez Dynalec.
Pascal CAYEUX
(*) www.dynalec.fr