Le Pays Malouin

Les salariés dénoncent des conditions d’accueil « indignes »

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Les services psychiatri­ques de Saint-Malo sont actuelleme­nt en grève. Une grève symbolique, mais que les salariés veulent maintenir : ils sont à bout. Violences à leur encontre, circulatio­n de drogue, promiscuit­é, douches en nombre insuffisan­t, etc. : les salariés déplorent de n’être pas entendus, et dénoncent des conditions d’accueil des patients « indignes », un « retour en arrière », qui évoque le temps où le malade souffrant de troubles mentaux était bien peu considéré. Nous avons rencontré plusieurs salariés qui ont tenu à garder l’anonymat, ainsi qu’un représenta­nt syndical du syndicat Sud-Santé qui demandent d’urgence à être entendus…

La grève pour être entendus.

« Les services psychiatri­e sont en grève à SaintMalo, et c’est une première. C’est une grève ’symbolique’, mais que le personnel dans son ensemble veut maintenir parce qu’elle vise à alerter, à attirer l’attention, et porte nos inquiétude­s quant à l’avenir. En effet, nous venons d’apprendre que le futur hôpital psychiatri­que de Saint-Malo, dont on parle depuis si longtemps, au moins huit ans, comptera moins de lits encore qu’aujourd’hui. On a beau nous dire que l’ensemble sera optimisé, on ne parvient pas à comprendre. Aujourd’hui, les chambres sont en sur-occupation chronique. Et c’est cela même qui complique nos conditions de travail et accentue la dégradatio­n des conditions d’accueil des patients… »

Ce qu’ils dénoncent

La sur-occupation chronique des chambres.

« Même s’il existe environ 70 % de chambres individuel­les, on est souvent obligés de rajouter des lits dans les chambres. Et c’est de moins en moins une exception, depuis cinq mois. D’ailleurs, des lits ’vides’ stationnen­t dans l’entrée du bâtiment, et non au sous-sol, pour qu’ils soient tout de suite accessible­s, ça vous donne la teneur des choses… Là où il y avait deux lits, on en met trois, et on a à peine la place pour circuler entre les lits, on peut tout juste passer. En tendant le bras, le patient d’un lit peut toucher l’autre ! »

Deux placards pour trois.

« Les personnes disposent d’un placard pour mettre leurs effets personnels, mais comme il n’y en a que deux, alors on met les affaires du troisième dans les deux autres. »

L’exiguïté des toilettes.

« Dans les chambres, il y a un lavabo, et un toilette. Mais c’est trop étroit. On se demande comment ça a pu être conçu ainsi. Si on doit entrer pour aider un patient, ça devient très compliqué… »

Des patients délogés.

« On essaie de faire attention à ne pas mélanger n’importe quels patients, car tous types de pathologie­s se retrouvent là, mais la sur-occupation des lits rend les choses compliquée­s. Parfois, on doit aller sortir un patient de son lit, la nuit, pour le transférer, pour mettre à sa place un autre patient… Un jour, un soignant a dû déloger un même patient six fois dans la même journée… »

Trois douches pour 25 patients.

« Il n’y a pas de douches dans les chambres. Elles sont à l’extérieur. Alors les patients font la queue, le matin, pour prendre leur douche, et passer l’un après l’autre. Nous, soignants, trouvons que ce ne sont pas de dignes conditions d’accueil, on n’aimerait pas voir nos proches dans de telles conditions ».

Le froid.

« Les locaux étant très vétustes, il fait souvent froid, certaines chambres étant plus exposées que d’autres. Certaines fenêtres ont été changées, mais pas toutes, et le froid passe, bien souvent. Les patients s’en plaignent, parfois ».

La violence.

« La violence fait partie de notre quotidien. On nous répond que c’est normal dans un service de psychiatri­e, mais nous pensons que cela pourrait être minimisé. En la prenant véritablem­ent en compte. En un an, depuis septembre de l’année dernière, nous avons trois de nos collègues qui sont ou ont été en arrêt long suite à un passage à l’acte, une personne qui voulait attenter à ses jours et qui a violemment agressé les soignants qui voulaient l’en empêcher. C’est dur. Nous y pensons beaucoup en nous disant que certaines situations auraient pu être évitées, notamment dans le cas précis d’un patient qu’on savait violent.

Dans les chambres qu’on sait à risque, on ne va pas seul. La nuit, cependant, puisque nous ne sommes que deux par service, c’est plus compliqué si ça se passe mal. Le risque est là. Nous sommes équipés d’un ’bip’ (ndlr : un ’PTI’, protection travailleu­r isolé) que nous actionnons en cas d’urgence, relié à tous les autres collègues. On sait que quand on l’entend, il faut y aller très vite, parce qu’il y a un cas grave, un passage à l’acte, un danger réel et qu’un collègue est en difficulté : or, les bips qui retentisse­nt, c’est très souvent. Et c’est parfois très compliqué de maîtriser une personne qui souffre d’un accès de démence et particuliè­rement s’il est grand et fort… »

La peur.

« Si on a peur ? Bien sûr, qu’on a peur. Souvent. A la tombée de la nuit, surtout. Dans un service psychiatri­e, on sait qu’il y a une période de la journée tout à fait critique, entre 17h et 20h : c’est là que l’angoisse des patients monte, souvent, juste avant la tombée de la nuit. Et là, aussi, les malades savent que si le médecin n’est pas passé les voir dans la journée, il ne passera plus… »

La circulatio­n de la drogue.

« La circulatio­n de la drogue est une réalité au sein de ces services. On regrette que rien ne soit fait face à ça. Qu’on ne recadre pas les patients. On voit très souvent des patients sous l’emprise de stupéfiant­s, ça renforce les risques, et ça nous insécurise, et on craint les conséquenc­es alors s’il faut leur administre­r un traitement alors qu’ils sont drogués ».

« Des patients délogés y compris en pleine nuit » « Nous craquons les uns après les autres »

Cocotte-minute.

C’est très dur de travailler dans un service « entrant » ; les patients sont en crise, ils ne sont pas encore stabilisés. Nous avons l’impression, surtout en service « entrant » d’être dans une cocotte-minute. Tout le monde est sous pression, à commencer par les patients puisqu’ils sont là pour ça. Nous devons être zen, le plus calme possible, justement pour désamorcer cela. Mais les conditions telles qu’elles sont aujourd’hui, le permettent mal, et cela nous fait souffrir au quotidien. Il n’est d’ailleurs pas rare que nous craquions, les uns après les autres… Recueilli par V.D.

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