La mort au bord de la route
Morgan avait 34 ans et était le papa de trois jeunes enfants. Il a été fauché à vélo un soir de septembre 2015, à SaintMéloir-des-Ondes. L’homme qui était au volant du 4x4 tueur avait bu. Il s’est arrêté. Morgan était déjà mort. Alors le chauffeur est reparti. Deux ans et demi plus tard, il est de retour. Devant le tribunal. Récit de son procès qui s’est déroulé jeudi dernier.
24 septembre 2015, Saint-Méloir-des-Ondes. Au volant de sa voiture, cette femme est interpellée par la conduite d’un véhicule 4x4 Range Rover qui la précède sur la Route Départementale 2 qui relie Saint-Malo à Saint-Méloir. Il zigzague. Il mord même un peu l’accotement.
Au loin, sur cette ligne droite dégagée de tout obstacle en pleine campagne, une lueur se dessine dans la nuit tombante.
Morgan Sabin, 34 ans depuis cinq jours, rejoint son domicile de Saint-Méloir à vélo. Ce père de famille de trois jeunes enfants rentre de sa journée de travail. Il porte des vêtements sombres. N’a ni casque, ni gilet réfléchissant. Mais l’éclairage de son deux-roues indique sa présence.
Le bruit d’un choc violent
S’en suit « un bruit violent ». Tellement violent que la conductrice du second véhicule pense avoir elle-même percuté « quelque-chose ». Elle s’arrête aussitôt. Le 4x4 qui la précède s’est lui aussi stationné un peu plus loin. Son conducteur en descend. Ses yeux brillent. Son haleine sent l’alcool. Ils cherchent tous les deux. Et découvrent le drame qui vient de se nouer à « 40 mètres du point d’impact », rapportera l’enquête.
Dans le fossé gît le corps de Morgan. Un médecin confirmera plus tard que le cycliste a été tué sur le coup par le 4x4. Le conducteur, ambulancier de formation, le sait lui aussi. Il regagne son véhicule, prétextant chercher du matériel de secours. Il ne reviendra jamais.
« J’ai paniqué »
Il a pris la fuite et n’attendra que le lendemain après-midi pour se livrer aux gendarmes. «J’étais en état de choc, j’ai paniqué », raconte-t-il aux enquêteurs. Les causes de l’accident ? « J’étais gêné par les phares de la voiture qui me suivait ». C’est en réglant son rétroviseur intérieur en mode nocturne qu’il aurait fait cet écart fatal au cycliste.
Les coups de volant avant le choc, constatés par la témoin ? Un problème de direction sur son 4x4, avance-t-il. Et cette haleine chargée d’alcool ? Il finira par reconnaître deux whisky « maison ». Mais pas plus.
Deux ans et demi plus tard, devant le tribunal correctionnel de Saint-Malo, face à des proches de la victime dignes dans la douleur et le chagrin, l’ambulancier qui ne s’était jamais manifesté auprès d’eux depuis cette dramatique soirée, s’excuse. Enfin. «J’ai tué un homme et brisé une famille. Je n’arrive toujours pas à l’accepter ».
« J’ai tué un homme »
Ces mots, Me Danielle Hardy, l’avocate de la mère et du frère de Morgan, ne les accepte pas non plus. « Le prévenu minimise sa consommation d’alcool et sa responsabilité ».
« Vous savez pourquoi il s’est arrêté ce soir-là ? » poursuit-elle. « Parce que le vélo de Morgan était coincé sous sa voiture. Il aurait continué à rouler sans cela. Il n’avait rien vu, rien entendu. Il était complètement dans les nuages ». Et Me Hardy d’accuser encore : « Il est ambulancier. Il est chaque jour confronté à la mort et il veut nous faire croire qu’il a perdu les pédales. C’est faux ! »
Et puis il y a cette attitude du prévenu, au lendemain du drame, avant qu’il ne se livre à la gendarmerie. « Vous êtes allé faire du vélo. La famille de Morgan a été très choquée de l’apprendre ».
« Une famille détruite »
La mort brutale de Morgan a laissé « une famille détruite », a poursuivi à son tour Me Jérôme Stephan, au nom de la compagne et des trois enfants de la victime. « Des gamins vont grandir sans leur père, avec une maman fragilisée par la disparition de son compagnon, et devant en plus de la douleur faire dorénavant face à des problèmes administratifs et matériels ».
« La mort de Morgan est une perte incommensurable pour toute la famille », insiste aussi Me Hardy. « Sa mère ne vit plus, elle survit. Son frère a voulu se suicider. C’est un monde qui s’est écroulé pour eux ».
« Pas une fatalité »
Pour la procureure Christine Le Crom, ce drame de la route ne doit surtout pas être perçu « comme une fatalité. Je ne l’accepterai jamais ».
La route tue. Beaucoup. Beaucoup trop : « L’équivalent de quatre Airbus 380 chaque année en France. Et on n’en parle presque pas… » Ce drame, dit-elle encore, n’a pas été causé par le pire des dangers routiers. Mais « par un homme qui a pris le volant alors qu’il avait bu et dépassé la dose autorisée. Par un chauffard d’un soir qui savait qu’il n’aurait pas dû prendre la route ».
Rappelant que la peine encourue était de 10 ans, elle a requis 4 ans de prison dont 2 ans et demi ferme.
« La peur, conseillère imprudente »
Comment défendre ce qui paraît difficilement défendable ? C’est la tâche de Me Frédéric Birrien en cette fin d’audience douloureuse. « Ma plaidoirie pourrait presque tenir en un seul mot : pardon ». Son client sera condamné. L’avocat le sait et tente d’atténuer la sentence qui sera prononcée : « Mon client n’avait jusqu’à ce jour jamais eu à faire à la justice, à la police. Son employeur lui a renouvelé sa confiance et trouvé un autre emploi de brancardier ». Pour tenter d’expliquer le délit de fuite de son client, Me Birrien aura ses mots empruntés à Platon : « La peur est une conseillère imprudente ». Elle a poussé un homme à fuir le drame qu’il avait engendré. Et le condamne aujourd’hui à vivre « avec sa souffrance, qui sera sa vengeance contre lui-même jusqu’à la fin de ses jours ».
2 ans ferme
Son client malouin, aujourd’hui âgé de 50 ans, a été condamné à 3 ans de prison dont 2 ans ferme. Son permis est annulé. Et il a l’interdiction de le repasser avant deux ans.
Il devra également indemniser la famille de Morgan, dont le montant total des demandes de dommages et intérêts avoisine les 180 000 euros. Dans ce second volet du procès, la justice rendra sa décision le 19 mars.
Samuel SAUNEUF