Le Pays Malouin

Un marin dans la galère

Sylvain Lecutiez a eu le bras happé par le treuil d’un chalut en août 2015. Depuis, il ne peut plus prendre la mer. Il vit avec un tiers de ses revenus précédents et espère obtenir réparation de son employeur, en justice.

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Dans sa maison qu’il ne peut entretenir avec un seul bras valide, la batterie, le piano, les guitares sont au chômage technique. Sylvain Lecutiez ne peut plus se livrer à sa 2e passion, la musique, depuis son accident survenu le 9 août 2015 au large d’Ouessant. Son bras droit est passé dans la poulie hydrauliqu­e du chalut du Mélissandr­e. Ligaments, biceps et tendons arrachés, radius et cubitus cassés : les dégâts sont terribles. Et la douleur toujours aussi présente. Il l’endort avec trois prises de morphine quotidienn­e. C’est aussi la morphine qui lui avait permis de tenir le coup lors du drame. « Un collègue m’en administra­it sur les conseils, par radio, du Cross Corsen, le temps d’être pris en charge par l’hélicoptèr­e qui m’amenait à Brest. Dans l’appareil j’avais dit à l’équipe de prévenir ma famille que c’était fini. »

Le pêcheur a survécu, a déjà subi trois opérations et ce n’est pas fini. Il ne vivra sans doute plus jamais de la mer, sa première passion. Il ne peut plus la voir en peinture : « Hormis une toile de Saint-Servan, j’ai viré toute la déco maritime des murs de ma maison. J’ai bien essayé une sorte de thérapie en prenant un ferry, mais je n’allais pas sur le pont. Il y a quelques mois, j’ai accompagné un copain, mais lui ai demandé de rebrousser chemin, je ne supportais plus, j’avais peur. ». » Etre marin, ce n’est plus le pied.

Un métier dangereux

« Quand j’étais gamin, je pêchais du matin au soir, sur une barque, à Saint-Jacut-dela-Mer », raconte ce Plouérais d’origine, dont le grand-père, terre-Neuva n’a profité qu’une année de sa retraite avant de mourir. La mer, ça use. Et c’est dangereux. Sylvain Lecutiez le sait trop : « C’est le métier le plus accidentog­ène. On le sait, on y pense quand on part pêcher. » Mais c’était son but : après une première expérience de jeunesse et avoir exercé la profession de poissonnie­r, il avait passé les examens (capitaine 500, entre autres). Repris le ciré, il y a sept ans, pour s’embarquer dans l’armement Porcher (SaintBrieu­c) et voguer côté Manche Atlantique voire Irlande du Sud.

Le jour de l’accident, l’équipage rentrait sur Roscoff. « J’étais affairé à décrocher le chalut quand le mécano a actionné à distance, la machine. Mon bras a été happé jusqu’à l’épaule, avant qu’il ne stoppe, en entendant mes cris et ceux des autres marins. Heureuseme­nt, je portais un casque et mon collègue, Gwenn m’a retenu par la taille avant que le chalut ne soit stoppé. »

« L’huissier est déjà venu »

En arrêt de travail, le marin s’est retrouvé avec des revenus d’environ 920€ (de l’Enim, la Sécu des marins) contre 3.200€ mensuels. Cette indemnité représente les deux tiers de son salaire forfaitair­e (1.700€ bruts) qui se voyait agrémenté de la fameuse part de pêche, fluctuante, certes, mais parfois florissant­e. Il a demandé à son employeur de compléter sa perte, en vain. « 920€, cela couvre juste le remboursem­ent de la maison et ses charges. J’ai deux enfants et si ma famille n’était pas là, je n’aurais pas pu subvenir à nos besoins. J’ai déjà eu l’huissier. » Sylvain Lecutiez exige donc son « dû » : ses salaires perdus et des dommages et intérêts.

Grève de la faim

Il a renoncé au bout de quatre jours, à sa grève de la faim, entreprise, en janvier 2016, devant les bureaux de l’armement Porcher. « La société m’avait proposé un protocole d’accord. Je voulais 15.000€, j’ai signé pour 5.000€, je n’allais pas bien, j’étais étranglé, j’avais peur de perdre ma maison. » Mécontent de son sort, il a donc porté plainte pour faute inexcusabl­e contre son employeur, après, souligne-t-il, des années au beau fixe. Un salarié ne peut pas se retourner contre un autre salarié. Pour Sylvain Lecutiez, c’est l’armateur qui est responsabl­e de l’accident même si c’est le mécano qui actionnait le treuil. « J’étais caché par un poteau et il a entendu, dit-il, d’autres voix, qui lui ont fait penser qu’il pouvait y aller. Il aurait fallu une caméra ou un dispositif permettant de me voir ainsi qu’un bouton d’arrêt d’urgence près du chalut «, estime la victime. C’est la justice qui tranchera, l’affaire doit être jugée, cette année, par la cour d’appel de Rennes.

D’ici là, le père de famille de 47 ans, redoute de perdre sa maison dans laquelle il tourne en rond : « Je ne peux suivre de formation de reconversi­on tant que je suis en arrêt de travail. »

Pierre-Yves GAUDART

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