Le Perche

Robert Buisson, le portraitis­te des bistrots Percherons

A votre insu, Robert Buisson a peut-être peint votre portrait, dans un des cafés de Nogent. Inconnu, il a du talent et mériterait d’être exposé. Rencontre avec Roger Dairain qui l’a découvert dans un vide-greniers.

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Aquarellis­te. Roger Dairain aime courir les vide-greniers notamment à la recherche de vieux livres dédicacés. Ce jour-là, en compagnie de son épouse, il déambulait dans Rémalard et tombe en arrêt devant le stand d’un Rémalardai­s. M. Dairain est curieux. « Qu’est-ce que c’est que ça ?» On lui répond que

c’est « un habitant nommé Robert Buisson, au gré de ses balades dans le Perche et en Normandie, qui croquait les personnes dans les cafés. » Il se rend acquéreur de ce lot d’aquarelles, représenta­nt des Rémalardai­s, qui l’avait intrigué. En repassant, le vendeur l’interpelle en lui disant « j’en

ai encore plein » . Son épouse tombe aussi sous le charme. « On a trouvé son style un peu naïf, trop mignon » . Roger a également été très touché. « Ce couple, leur histoire, m’intrigue » . Insaisissa­ble Du coup Roger achète le tout. 3 200 oeuvres, principale­mant des aquarelles, peintes entre 1980 et 2005. Ils essaient alors de remonter la piste et mènent leur enquête. Là on ne joue pas au Pokemon go, c’est plutôt la recherche du passé perdu tant Robert Buisson est insaisissa­ble. L’ex-propriétai­re de l’hôtel de la Poste, Mme Deletang, maintenant le café des Arts, se souvient de ceux qui étaient devenus ses amis. « M. Buisson était un de mes clients, il se mettait dans un coin, buvait son café et croquait les gens. » Elle-même a eu la chance qu’il lui donne son portrait, quelques jours après l’avoir fait. Mais c’était un client très discret, qui ne s’épanchait pas sur sa vie. Appel à témoins

« D’où vient-il ? Mystère, même si on sait maintenant que son épouse, prénommée Jeanne, travaillai­t dans une banque privée et que lui a travaillé dans une usine d’ar-

mement, à Villacoubl­ay. À 50 ans ils débarquent à Rémalard. Point. » Roger Dairain a sa petite idée. « C’est parce qu’il est timide qu’il préfère peindre les gens au lieu d’aller vers eux. » Arrivé en 1983, il décède en 2005, son épouse en 2010. C’est ainsi que la maison est vendue au propriétai­re actuel qui récupère aussi le stock d’aquarelles, dont il ne sait que faire. D’ailleurs, cela allait partir à la benne. M. et Mme Dairain lancent en quelque sorte un appel à témoins. Êtres vivants et fantômes

De l’avis d’amateurs éclairés, il a un incontesta­ble talent artistique, et sans doute a-t-il fait l’école des Beaux-Arts, car l’aquarelle est un art difficile. Perspectiv­es et proportion­s sont respectées. Les courses de chevaux de La Ferté- Vidame sont aussi le thème de dizaines petites aquarelles. Quand on sait la difficulté de dessiner des chevaux. Certains sont datés et on peut voir ainsi l’évolution de son style.

Le peintre semble très marqué par la guerre de 1914. Il peint en effet de grands formats dont c’est le thème. Toujours le même : des vivants, un verre à la main, qui font la fête, mais sans être vraiment heureux, et des fantômes de soldats qui veillent. On sent un reproche. Saisissant. Notamment une scène de 14-Juillet qui nous met la chair de poule. Tragique. « Ça

rappelle Nice » . Un véritable artiste. Le maire de Rémalard est intéressé par ces oeuvres. Un ancien combattant ajoutera que « on enverra l’exposition à Verdun. »

Son épouse fait aussi de l’aquarelle. Jeanne a eu le premier prix 1986 de peinture animalière de Barbizon. C’est son frère qui donne tous ces détails. Originaire de La Rochelle, elle semble aimer beaucoup les bateaux. C’est ainsi qu’elle peint, dans le port du Havre, où ils possèdent un appartemen­t, navires et scènes portuaires. Des dizaines et des dizaines d’aquarelles. Robert Buisson, lui, fidèle au poste, fait la tournée des bars et croque les Havrais. Il visite aussi Harfleur et Sainte-Adresse, communes qui jouxtent Le Havre. Puis tout le pays de Caux : Saint-Romainde-Colsboc, Étretat, Fécamp et Dieppe sont autant d’étapes dans son voyage dont il ramène les portraits colorés - « Il aimait

les «gueules» » - de ses habitants.

Le bar Grill de la gare, le café de la Herse, celui de la Civette à Nogent sont autant de lieux où il croque ses habitants. Puis ceux d’Alençon, de Longny et Mortagne… Robert Dairain n’en a pas fini l’inventaire et il en découvre tous les jours.

Il y a certaineme­nt matière à plusieurs exposition­s, et d’ores et déjà, la mairie de Rémalard, qui en prépare une sur la guerre de 14, est intéressée. D’autres vont assurément se manifester, en tout cas, Robert Dairain et son épouse aimeraient faire partager leur découverte. Leur ambition est de sortir de l’oubli Jeanne et Robert Buisson.

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C’est le feu d’artifice et on fait la fête, mais un fantôme de soldat est en faction.
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Roger Dairain montrant les oeuvres de Robert Buisson.

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