Maurice Levier, le combat d’une vie
Producteur, le Percheron milite depuis 1998 pour l’appellation du cidre du Perche. Qui devrait être officialisée au premier semestre avec l’obtention de l’AOC. Un combat au quotidien.
Condeau.
Bien qu’il soit à la retraite depuis le 22 juillet, Maurice Levier continue de militer pour le cidre du Perche soit reconnu en plus haut lieu. Pour qu’il obtienne, enfin, l’appellation contrôlée, ce sésame tant recherché par les producteurs. Quand il évoque le chemin parcouru, l’agriculteur percheron pétille.
L’aventure a véritablement démarré en 1994 quand il intégrera le Crinao (Institut national des appellations d’origine), à Caen, qu’il présidera pendant dix-huit ans. Après avoir vu l’avènement du cidre du Pays d’Auge en 1996, le Poiré du Domfrontais et l’appellation Calvados du Domfrontais, les demandes d’appellation du Cotentin et du Pays de Caux début 1998, le Perche est évoqué.
L’idée trottait dans un coin de sa tête. Mais il la gardait pour lui. L’intervention du directeur du Crinao, qui l’a motivé à prendre la voie de l’excellence, a été cet élément déclencheur que Maurice attendait. Au Cheval Blanc
Rapidement, il réunit quelques producteurs : Jean- François Leroux, Francis Ferré, Dominique Plessis, Philippe Duteil, Jean Pesard, André Déroué et bien d’autres se retrouvent au Cheval Blanc, à Avezé (sur la RN10, entre Le Theil-sur-Huisne et La Ferté-Bernard). « Tout le monde était partant. » L’acte fondateur d’un groupe de travail qui évoluera tout le temps ensemble voit alors le jour.
Les réunions se sont succédé. La sélection de la pomme s’est améliorée, la première dégustation s’est déroulée chez Francis Ferré. « Si nous voulions nous lancer dans une démarche AOC, il nous fallait constituer un syndicat. »
Camille Henri, au Parc, s’est chargée de trouver un étudiant qui prépare un mémoire sur la faisabilité d’un AOC cidre du Perche : Camille Poisson, étudiante à Angers, sera l’heureuse élue, elle redonnera ses lettres de noblesse au cidre du Perche. Elle obtiendra les félicitations du jury. « Elle a fait un travail remarquable » , se souvient celui qui deviendra son beau-père. Des endives !
L’ingénieur de formation a rejoint l’exploitation familiale pour se consacrer à l’agriculture et principalement aux pommes. Il s’installe en 1973. Et ne quittera jamais les terres condoléennes.
Le Perche n’est pas une terre de plaine. Maurice Levier s’est mis à cultiver tout ce qui était cultivable : « Dans le Perche, il y avait des céréales, de l’élevage et des pommes. » Après avoir cherché une diversification avec les endives - « Heureusement que je ne me suis lancé là-dedans car le marché s’est totalement effondré » -, le Percheron a finalement produit du cidre : « Il y avait une cidrerie à côté de chez moi, au Theil-sur-Huisne. J’ai rencontré le directeur qui souhaitait développer la filière agricole en implantant des pommes basses tiges. »
En 1986, Maurice Levier plante ses premières basses tiges. Abandonnant les hautes tiges qui, dit-il, appartiennent « à une autre époque » . Une nouvelle aventure peut commencer. Elle emmènera l’agriculteur vers des sommets qu’il n’aurait peut-être pas imaginés mais qu’il a finis par atteindre, au fur et à mesure de ses rencontres, de ses engagements, de sa capacité à fédérer, de sa pugnacité.
La route vers l’AOC est semée d’embûches. « Nous avons étudié les sols (nous avons fait appel à la chambre d’agriculture), nos variétés (chambre d’agriculture), la typicité de notre cidre (le service oenologie de la chambre régionale d’agriculture nous a aidés). Nous nous sommes mis à participer aux concours de la Saint-Jean qui tourne dans toute la Normandie. Tous les cidres - qui ont une appellation ou qui sont en voie de l’obtenir, industriels ou non… - y participent. » Effervescence à L’Hermitière
En janvier 2009, le dossier avance avec la présentation devant le Crinao de Caen. « Le Perche est bien placé pour avoir son appellation » , nous indique le président. Mais pour le directeur, il faut une IGP.
Avec le soutien des élus nationaux - « Nous avons battu le rappel avec nos sénateurs » -, le syndicat décroche un rendez-vous avec la directrice de l’INAO à Paris, le 30 janvier de la même année. L’IGP est exclue, il faut, dit-elle, « mandater la commission d’enquête nationale » qui rencontrera les trois pays (Cotentin, Caux et Perche).
En décembre 2009, la salle des fêtes de L’Hermitière est en pleine effervescence. Chaque région avait apporté ses produits. La dégustation débute. « C’est homogène, on distingue bien les trois régions » , lancent les enquêteurs. Le verdict tombe : « L’IPG… On laisse tomber. Ça sera l’AOC, on voit bien la typicité. » Les producteurs percherons avaient besoin de notoriété pour exporter leur savoir- faire. Ils l’ont trouvée grâce à une journaliste américaine, Colette Rostan, installée dans le Perche. « En 2011, elle a rencontré un échange avec les producteurs américains. Nous sommes allés quinze jours dans l’Hudson, région de pommiers. »
Sur place, les « Frenchies » vendent leur cidre et du calvados sous le pont de Brooklyn. « C’était formidable. »
« Nous avons acquis de la notoriété. A partir d’un cahier des charges, nous avons apporté des améliorations à notre cidre. »
« En novembre 2014, nous avons reçu la commission d’enquête à l’Hôtel du Tribunal. Le chef Freddy Pommier nous a concocté un repas avec des cidres du Perche et des produits du terroir. Son rapporteur, Claudie Neisson a été emballée. » Le retour des hautes tiges
Dernière ligne droite : l’introduction de hautes tiges. « Nous n’en voulions que 20 %. » Le syndicat s’est résolu à en accepter 30 % - « Le Contention avait accepté 35 %… Mais le Pays d’Auge, 0 % ! » .
Dix-neuf ans après, l’équipe est toujours aussi solidaire. « Nous avons beaucoup amélioré notre cidre, nous avons fait un bon en avant dans sa qualité. »
Les experts sont revenus dans le Perche à deux reprises : en septembre et décembre 2015. « En juillet dernier, nous avons échangé avec eux. Nous attendons maintenant le rap- port final » : « Si tout va bien, à moins qu’ils ne trouvent un grain de sable, nous devrions obtenir l’appellation au pre- mier semestre 2017. »