Effrayé, il le percute mortellement
Mortagne-au- Perche.
C’est au départ une peine de coeur qui a mis les deux protagonistes en relation, cette nuit du 10 au 11 juin 2014 à Mortagne-au-Perche. Elle a viré au drame vers minuit.
Un homme de 38 ans est, en effet, décédé, après avoir été percuté par la voiture de son voisin. Jugé pour homicide involontaire par le tribunal correctionnel d’Alençon, jeudi 3 novembre, le conducteur, un Parisien de 24 ans, a écopé de trois mois de prison avec sursis. « Trois beignes » et des lunettes au sol
Dans la soirée du 10 juin 2014, Sébastien, la victime, était venu toquer à la porte de Guillaume, son voisin de palier, pour lui emprunter son téléphone afin de joindre son ex-compagne qui venait de mettre fin à leur relation. Guillaume avait accédé à sa demande. « Il vous avait ensuite demandé de la rappeler. Ce que vous aviez refusé. Il était alors rentré chez lui » , détaille la présidente Quitterie Lasserre.
Mais Sébastien était revenu à la charge pour contacter de nouveau son ex. Le nouveau refus de Guillaume l’a irrité. Sébastien l’a giflé à trois reprises avant de le menacer de revenir tout casser chez lui. Effrayé par l’attitude de son voisin, Guillaume a pris la fuite, sans prendre le temps de ramasser ses lunettes de vue, tombées au sol sous les coups. « Vous vous êtes rendu au kebab pour demander de l’aide. Là-bas, personne n’a voulu appeler les gendarmes au motif qu’ils connaissaient Sébastien. C’est vous qui avez joint la gendarmerie plus tard » .
À 00 h 01 précisément. Guillaume leur annonce qu’il s’est pris « trois beignes » par son voisin qui est en train de tout casser chez lui « avec un pied-de-biche » . Il précise qu’il est dans sa voiture devant chez lui. L’opératrice lui annonce que des gendarmes vont l’y retrouver.
Dans la foulée, Guillaume a perçu de la lumière dans le hall. « Ça ne pouvait qu’être lui qui sortait, à cette heure-ci » , annonce le prévenu à la barre du tribunal. Aux gendarmes qui l’ont entendu quelques heures après ces faits, il avait déclaré « avoir vu Sébastien sortir avec un piedde-biche à la main » . Ce que confirme d’ailleurs un témoin de la scène selon qui « Sébastien semblait déterminé avec son pied-de-biche ». À la vue de son voisin, depuis sa voiture aux phares allumés et dont le moteur tournait, Guillaume a alors démarré en trombe avant de tourner à gauche. Au moment même où survenait Sébastien. Le choc fut mortel pour l’homme de 38 ans. « Le souffre-douleur d’un père alcoolique »
Les expertises ont établi la vitesse du prévenu entre 35 et 38 km/h. Ce qu’il avait lui-même annoncé. Les analyses de Sébastien ont révélé qu’il était ivre (avec un taux de 2,13 g/l de sang) et qu’il avait consommé du cannabis « de façon importante ce jour-là » . Il était connu pour être « cordial et agréable quand il était sobre et faisait peur quand il avait bu » , ajoute la présidente.
« On avait beaucoup de questions lors de la reconstitution et on n’a toujours pas les réponses » , plaide l’avocate de la famille de la victime dont elle retrace une « enfance difficile » marquée par « un père autoritaire, violent et alcoolique dont il était le souffre-douleur » . Me Annie Kervaon-Soyer s’étonne que le prévenu « ait attendu devant chez lui au lieu de se rendre directement à la gendarmerie » . Une autre question porte sur « le fait qu’il ne voit pas sans lunettes alors pourquoi n’a-t-il pas porté la paire qu’il gardait dans sa voiture ? » « Ça ne fait pas de lui un meurtrier »
« Cet accident est dramatique mais c’est la faute de la victime qui s’est mise en danger avec ce cocktail cannabis et alcool et son penchant naturel à la violence décrit par la famille. C’est lui qui s’est mis dans le carrefour avec une barre de fer à la main quand il a entendu la voiture démarrer » , enchaîne Me Thierry Sablé au nom de l’assurance du prévenu.
« Il n’est pas dans mon intention de salir la mémoire de la victime mais ce soir-là, il n’a pas mis toutes les chances de son côté pour rester en vie » , reprend le procureur de la République
Or, selon François Coudert, « le prévenu avait appelé les gendarmes et donc qui peut penser qu’on peut attendre quelqu’un pour le tuer après avoir demandé de l’aide ? » Le Parquet est convaincu que le prévenu « a vu la victime sortir avec un pied-de-biche mais ça ne fait pas pour autant de lui un meurtrier. Il était stressé et a démarré en trombes. On peut lui reprocher de ne pas avoir su gérer son stress et de ne pas avoir mis ses lunettes alors qu’elles lui sont nécessaires pour conduire » . Il requiert 12 mois de prison avec sursis et une suspension du permis de conduire « de 8 à 10 mois » .
« On prend froidement les faits sur papier et on nous demande d’oublier le contexte ! Or, c’est le contexte qui est important dans ce dossier ! » , déclare l’avocate parisienne du prévenu. « Mon client a bien fait de prêter son téléphone à la victime, il a bien fait de s’enfuir de chez lui quand il a été menacé, il a bien fait d’appeler les gendarmes et il a bien fait de prendre la fuite avec sa voiture. S’il n’avait pas bien réagi ce soir-là, je plaiderais peut-être sur le banc des parties civiles aujourd’hui ! La victime est le seul responsable de sa mort. C’est lui qui s’est mis au milieu de la chaussée ! »
Le tribunal a finalement condamné le jeune homme de 24 ans à trois mois de prison avec sursis. Il devra indemniser les parties civiles à hauteur de 3 200 € de dommages et intérêts et rembourser 3 520 € de frais d’obsèques de la victime.