L’une des plus grandes primatologues au Monde est originaire du Perche
Sabrina Krief est aujourd’hui un nom dans l’univers fermé des primatologues. Elle a étudié durant des années notamment l’automédication des grands singes et s’intéresse désormais à l’impact de l’activité humaine.
Saint-Martin- des- Pézerits.
« Le Perche est l’un de mes poumons, l’Afrique est l’autre ! » A 43 ans, Sabrina Krief organise sa vie entre l’Afrique, le Musée de l’Homme au Trocadéro et son Perche qu’elle affectionne où ont élu domicile ses parents et où elle a grandi. Elle voit le jour à Maisons-Alfort mais ses grandsparents achètent très vite une maison à Saint-Martin-des-Pézerits, entre Moulins-la-Marche et Mortagne-au-Perche. À la retraite, ses parents font le choix de s’y installer, « j’y retourne aussi souvent que possible voir ma mère, ça fait partie de mes indispensables ! »
À 7 ans elle aide le vétérinaire
Toute jeune, elle se prend de passion pour les animaux. « Avec Alain Bouvier, vétérinaire à Moulins, je me souviens être sortie la nuit, à 7 ans, pour aller faire des vêlages ! » Elle se voit déjà vétérinaire mais on lui diagnostique une allergie aux poils de chiens, chats, aux foins, aux moisissures… Comme le cabinet de Moulins est très tourné vers les chevaux, elle s’y spécialise. « Nous avions des chevaux en pension, je m’en occupais tous les week-ends » .
Ses études de vétérinaire passées, elle fait la rencontre de celui qui allait partager sa vie et ses passions : Jean-Michel Krief. Un pur Parisien, photographe, qu’elle initie aux joies campagnardes.
Sabrina Krief se souvient de leur première grande expédition au Kenya. Elle a 20 ans. De bons souvenirs mais trop « organisée » à leur goût. Pour les suivantes ils vont opter pour une version nettement plus rustique afin de vivre réellement en immersion.
Ils mettent le cap sur le Congo en 1997 pour y étudier des chimpanzés saisis dès leur plus jeune âge, élevés par des humains, qui n’ont jamais connu la vie sauvage. Un gros projet qui va les emmener audelà de ce qu’ils imaginaient.
Premiers contacts avec les grands singes
« Ces chimpanzés, qui n’avaient jamais rien connu d’autre, ont, à peine relâchés, réussi à se nourrir seuls déjà mais, et ce sera notre grande surprise, ils trouvent très rapidement et sans enseignement d’un groupe, de quoi se soigner ! Les assistants Africains nous parlent de la pharmacopée locale à partir de telle ou telle plante. Ces chimpanzés se sont dirigés vers elles automatiquement ! » Un réel déclic pour la chercheuse qui s’inscrit en DEA à Jussieu avec cette question qui la taraude : est-ce que les grands singes se soignent ? Elle n’imaginait pas ouvrir la boîte de Pandore.
Au fur et à mesure de ses recherches elle découvre des métaboliques secondaires qui, consommés en grande quantité sont toxiques mais, en doses maîtrisées font office de médicaments. Ces singes savent quoi absorber mais surtout en quelle quantité !
Les observations ne faisaient que commencer : utilisation d’outils, recherche des larves, apprentissage social… Les enseignements de ce groupe de chimpanzés sont inestimables et inédits pour beaucoup.
Une puissante pharmacopée locale
Ce qui l’amène à préparer une thèse de chimie sur les plantes les plus intéressantes avec un focus sur les maladies parasitaires, la maladie du sommeil, le paludisme, la cancérologie. Les chimpanzés deviennent guides actifs. « L’une des plantes possède des feuilles très amères, une forme de défense, mais contenant des molécules bien plus actives que ce qui existe actuellement, notamment avec des propriétés antalgiques puissantes. Un singe blessé ou malade ira la consommer » … Peut-on alors parler de « conscience » ?
Plusieurs plantes sont ainsi identifiées par la chercheuse, des plantes alternées par les singes pour éviter l’accoutumance. « Mais il faut faire vite pour les étudier, la forêt est en danger ! » se désolet-elle.
En Ouganda, Sabrina Krief est parvenue au fil des années à tisser un réseau fort de par- tenaires poursuivant le même combat. Université locale, CNRS, Muséum, chercheurs… Forment un ensemble cohérent autour de ces recherches sur un site désormais protégé de toute velléité mercantile.
« Des bombes écologiques en puissance »
Les enjeux sont en effet énormes : économiques, touristiques, humains… « Nous avons des bombes écologiques en puissance, le but est de limiter autant que possible les dégâts. 80 % des personnes les plus pauvres de la planète dépendent des forêts. » Un cri d’alarme qu’elle a eu l’occasion de pousser en 2015 lors de son exposition Sur la piste des grands singes qui a connu un grand succès. « Nous n’en sommes pas encore à un point de non-retour, il n’est pas nécessaire de tout mettre sous protection mais il est en revanche vital de lutter contre la monoculture et de travailler avec des locaux » .
Alors, sur le terrain, Sabrina se fait médiatrice, elle découvre des territoires inattendus, forme des étudiants qui, euxmêmes ensuite vont poursuivre ces enseignements. Un travail de longue haleine mais qui est particulièrement prometteur.