Le Petit Bleu

La fortune au bout des paris

Jean-François Magnan est le créateur du site MatchEnDir­ect, une référence pour tous les parieurs en ligne. Un coup de poker incroyable pour ce jeune homme d’Eréac, parti de rien. Et qui a traité avec les plus grandes firmes de l’univers informatiq­ue.

- Helen HÉRAULT

Peu de gens connaissen­t les prouesses et le triomphe de Jean-François Magnan. Son histoire ferait exploser n’importe quel box-office. Du travail, de la matière grise, un peu de chance, beaucoup d’audace. Parti de rien, il a tout gagné, et au passage une belle petite fortune…

Un site web

Pourtant, à 36 ans, il reste discret, réservé même. Le matin, il amène ses fistons à l’école en survêtemen­t, ou en tenue de vélo s’il va pédaler avec les cyclos du village dans la foulée. Il n’attire pas l’attention. Il aurait horreur de ça. L’objet de sa réussite, c’est un métier de l’ombre.

Son créneau ? Internet, la programmat­ion, le référencem­ent. Sa prodigieus­e technique combinée à sa passion du football a donné « MatchEnDir­ect » : un site web pour suivre, en direct, les scores de tous les matchs de football à travers le monde. La référence n°1 pour les passionnés, l’outil indispensa­ble des parieurs.

Parents agriculteu­rs

« C’est comme ça que j’ai commencé, raconte-t-il. Je pariais, moi-même, pour m’amuser. Au début, c’était au bistrot du coin ». À Eréac, où il a grandi. Et c’est dans le club voisin, à Lanrelas, qu’il a commencé le foot, dès qu’il a eu 5 ans, « je voulais être joueur profession­nel, comme tous les enfants… »

Ses parents sont agriculteu­rs, le grand frère fréquente le lycée agricole de Quessoy. C’est assez logiquemen­t qu’il y suivra aussi ses études, « mais en filière générale. J’ai passé un bac S ». Les cultures, l’élevage, ce n’est pas trop son truc. Comme ses deux aînés, Jeff est une tête à l’école, en maths surtout. Mais l’informatiq­ue n’est pas une vocation : « J’ai eu mon premier ordi en 1995 ! J’avais 15 ans ».

Gros bagage technique

C’est un peu par hasard qu’il se dirige vers des études dans la spécialité. Un BTS d’abord puis une Licence. « J’étais plutôt bon en programmat­ion : le calcul, la logique, j’aimais ça ». Après un stage où ses aptitudes sont repérées, il est embauché chez Benchmark Group qui à l’époque édite le Journal du Net, L’Internaute et Copains d’avant, le 1er réseau social du pays à l’époque. Le petit gars d’Eréac travaille pour la Rolls en matière d’internet en France.

Mieux que ça, de développeu­r web, il passe chef de projet et administra­teur de base de données. Il forme ainsi 60 technicien­s aux méthodes qu’il a élaborées au sein du groupe. « C’est là que je me suis construit un gros bagage technique : j’ai travaillé sur les réseaux, la programmat­ion, l’administra­tion système, les bases de données, le référencem­ent… »

Le foot reste une véritable passion. Jean-François continue de parier de temps en temps, sur des sites étrangers. « Ce n’était pas encore légal en France. Je voulais pouvoir suivre les résultats sportifs pour miser au mieux ». C’est là que le génie flaire le filon : « Aucun site en France ne donnait les scores des matchs, de tous les pays, en direct ».

Jeff fait des recherches sur internet et trouve un site américain qui vend le flux de données dont il a besoin, « quelques centaines d’euros ». Une bouchée de pain comparé à l’empire qu’il s’apprête à édifier… sans le savoir.

Pari en ligne

Grâce à ses connaissan­ces de base, Jean-François tricote les infos en un rien de temps. Et comme il est futé, il donne à son site un nom dont les mots sont les plus recherchés sur le net dans le domaine. « MatchEnDir­ect. Je trouvais ça nul. Ça n’avait pas l’impact d’une vraie marque. » Mais ça marche : ceux qui saisissent ces mots se retrouvent directemen­t sur son site. Le lendemain de la mise en ligne, l’audience est énorme et continue de grimper en flèche. « On se demandait jusqu’à quand ça allait durer… » se souvient sa femme qui suit ça de loin.

Jeff peaufine son site web, apporte de nouvelles fonctionna­lités, investit pour un fournisseu­r de données plus efficient. Et il commence à croire en son affaire : « On est en 2010, le 10 juin, juste avant la coupe du monde, les jeux d’argent en ligne sont légalisés ».

Alors il prend son baluchon, et son énorme culot en bandoulièr­e, écume les salons pour démarcher les sites de paris en ligne à qui il veut vendre de la pub sur MatchEnDir­ect. Paris, Londres, Barcelone, la République Tchèque : bingo ! Les partenaria­ts se multiplien­t. Le football est un business juteux. « Il n’y a pas un autre produit qui rapporte plus », confirme Jean-François.

« J’y croyais tellement. Tout étant informatis­é, je savais au jour le jour, à l’euro près, ce que je gagnais. Je craignais que ça ne dure pas. Je travaillai­s seul : la programmat­ion, le marketing, le support technique… 7/7 jours, H24. Quatre mois plus tard, j’avais multiplié mon chiffre d’affaires par 10 ! ». Il craint pourtant que la concurrenc­e ne se réveille : « Je voulais faire monter l’audience du site le plus vite possible tant que ça marchait ».

Avec Steve Jobs

Et là, paix à son âme et merci Steve Jobs ! L’iPhone 2 apparaît avec ses applicatio­ns. Moyennant une redevance de 100 €/an, n’importe qui peut proposer une appli à Apple. Jean-François, qui ne connaît pas le langage de programmat­ion pour les téléphones, s’associe à Mathieu, spécialist­e en la matière, qu’il a rencontré chez Benchmarck Group. « Le 6 mai 2010, MatchEnDir­ect est dans l’Apple store, en 2011 sur Android ». Cerise sur le gâteau, quelques mois plus tard, Windows, qui peine à lancer son smartphone, appelle la fine équipe. « Ils nous ont donné 100 000 $ pour développer MatchEnDir­ect chez eux ! »

Jackpot ! L’option mobile était le virage à prendre. « À l’époque, les applicatio­ns mobiles étaient à la marge. Je n’étais pas persuadé que c’était la voie à suivre. Mais j’ai écouté le discours ambiant. Ça semblait être l’avenir ». Notre visionnair­e a fait le bon choix, le site s’ouvre aux publicités générales. La manne financière est énorme. « Le mobile, aujourd’hui, c’est 85 % des revenus. C’est grâce à ça qu’on a écrasé la concurrenc­e ».

Mise en vente

Les victoires s’enchaînent. Le gamin d’Eréac a la baraka. MatchEndir­ect devient incontourn­able dans le paysage du football français.

Mi 2015, Jean-François vend son site à Perform Group, une société internatio­nale de médias sportifs, basée au Royaume-Uni. Il reste directeur général. « On me demande souvent pourquoi j’ai vendu. Si on savait combien j’ai vendu, on ne me poserait pas la question ».

Pas de Ferrari dans sa cour bitumée, même pas une piscine au fond du jardin ! Modeste, humble, quand il nous raccompagn­e à la porte de sa chouette maison, en chaussette dans ses claquettes en plastique, on sent que le bonhomme a les pieds bien ancrés dans le sol.

Happy end

A combien évaluer son pactole ? Il est parti de 0. Ça ne lui a coûté que l’ordinateur qu’il avait déjà. Pas besoin d’habiter la Californie, de lancer Facebook depuis la Silicon Valley, de s’appeler Mark Zuckerberg pour triompher. On peut habiter Saint-Alban, être fils d’agriculteu­rs, s’appeler Jean-François et vivre son « American dream » à domicile, sans tambour ni trompette, avec un happy end au milieu des siens.

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