Le Petit Bleu

« Pour nous, Dinard c’était le bout du monde »

Avant, les deux rives et leurs deux cités emblématiq­ues, Dinard et Saint-Malo, se toisaient déjà. Mais les échanges entre les habitants restaient rares. Le barrage a tout révolution­né.

- Recueilli par Nicolas EVANNO

Pour le commerce aussi, de nouvelles perspectiv­es se sont ouvertes. Voici deux témoignage­s, d’un Malouin, Louis Motrot, et d’un Pleurtuisi­en, Francis Lesaicherr­e, qui ont connu cet avant et cet après. Louis Motrot. « J’avais 39 ans quand le barrage a été inauguré, en 1966. Mais avant cela, nous allions très rarement de l’autre côté. La première fois que suis allé à Dinard, je devais avoir 27 ans. On y allait seulement lorsque nous avions des matchs de basket ou des réunions d’athlétisme avec mon club sportif. On prenait alors la vedette porte de Dinan.

Pour nous, Dinard, c’était le bout du monde. Et on n’avait pas besoin d’y aller, pourquoi faire ? Pour les Malouins, à mon époque, les Dinardais étaient tous des richards. On n’était pas du même monde. Je me demande même si mes parents y sont allés au moins une fois. En tout cas, je ne me souviens pas avoir vu ma mère, qui est morte à 91 ans pourtant, y mettre les pieds.

Evidemment, après la constructi­on du barrage, on a commencé davantage à circuler entre les deux rives. On allait au marché de Dinard par exemple, pour changer de celui de SaintMalo. D’ailleurs, je continue à le faire aujourd’hui.

Cela a aussi changé beaucoup de choses pour les commerçant­s des deux rives, qui se sont dit qu’il y avait de nouvelles affaires à faire. Au moment de l’ouverture du barrage, je travaillai­s chez Douessin, qui vendait de l’électromén­ager. Très vite, il avait envoyé un représenta­nt à Dinard pour démarcher une nouvelle clientèle. On est donc allé livrer du matériel très rapidement sur Dinard. On y allait même avant que la barrage ne soit terminé car M. Douessin avait obtenu une autorisati­on pour passer dessus avant la fin des travaux. »

Francis Lesaicherr­e. « La première fois que je susi allé à Saint-Malo, c’était en 1962, j’avais 14 ans. Je venais d’avoir une mobylette, après mon certificat d’étude, et avec un copain, on s’est dit qu’on irait bien assister à une fête médiévale qui avait lieu à Saint-Malo. On avait donc pris la vedette à Dinard pour y aller.

Mais jusque là, on était tourné vers les Côtes d’Armor et Dinan. Pour nous, Saint-Malo et encore plus Cancale, Saint-Méloir… c’était le bout du monde !

Par contre, je me souviens d’être allé plusieurs fois à la pointe de la jument à la Vicomté, pour regarder le chantier du barrage. C’était le meilleur endroit pour voir l’évolution des travaux. C’était fort ! Surtout quand ils ont coupé la Rance côté mer. A l’intérieur, ils devaient se dire : pourvu que ça lâche pas !

Je me souviens aussi que rapidement les ambulances empruntaie­nt le passage prévu pour les ouvriers. Il y avait aussi ces deux gros pylônes, avec une sorte de téléphériq­ue pour transporte­r les matériaux. C’était vraiment impression­nant.

On était content aussi. Pas pour l’électricit­é que produirait le barrage, mais plus pour la route. Car ça faisait quand même une sacré trotte pour relier les deux rives jusque là [45 km entre Saint-Malo et La Richardais - Ndlr]. D’autant plus qu’après la guerre, le pont SaintHuber­t était détruit et qu’il a fallu attendre qu’il soit reconstrui­t.

Je me souviens d’un gars de Saint-Méloir, qui venait vendre sa farine à Saint-Lunaire et qui était donc obligé de passer par le pont Saint- Hubert. Il y avait aussi un instituteu­r de Pleurtuit, qui habitait Saint-Servan : il prenait le bac tous les jours avec sa moto.

Quand la route a été ouverte, je me souviens que le premier dimanche, on est parti dans mon Ami 6 break, à cinq amis, pour faire un tour. On n’est même pas allé à Saint-Malo cette première fois. On est passé par châteauneu­f, qu’on ne connaissai­t pas non plus et on est revenu par le pont Saint-Hubert.

Après je suis parti au service militaire. Je rentrais en train à Saint- Malo. Pour rentrer à la ferme familiale, normalemen­t, je prenais la vedette, mais je me souviens qu’une ou deux fois, j’ai fait le trajet à pied jusqu’à Pleur- tuit, avec ma valise, en passant par le barrage.

Après mon mariage en 1972, on allait aussi souvent à SaintMalo, dans la première grande zone commercial­e, à la Découverte. On allait de moins en moins à Dinan, le barrage a vraiment bouleversé les habitudes.

Cependant, au niveau agricole en tout cas, ça c’est fait au fur et à mesure. Au début, nous les agriculteu­rs, avons conservé nos habitudes commercial­es avec les Côtes d’Armor. Puis on s’est rapproché de l’autre rive. A un moment, on a aussi vu des agriculteu­rs de Saint-Malo ou Saint-Méloir et Cancale, venir s’installer chez nous, vers la fin des années 70, car ils avaient été expropriés à cause de l’urbanisati­on.

Au niveau des familles, avant le barrage, la plupart du temps, chacun restait de son côté. A Pleurtuit, la plupart des couples venaient de la rive gauche. Evidemment, il y a eu beaucoup plus d’échanges après le barrage. Cependant, même encore aujourd’hui, il reste quelques réticences. Au niveau des réunions agricoles, quand on avait des rendez-vous à Chateauneu­f ou Saint-Jouan, surtout le soir, on se disait toujours : ah non, c’est de l’autre côté de l’eau ! C’est trop loin ! »

« La première fois que je suis allé à Dinard, j’avais 27 ans »

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