Le Petit Bleu

Un poilu de Languenan découvert cent ans après sa mort

Francis Tardivel a été tué le 16 avril 1917, à 22 ans, lors de la bataille du chemin des Dames célébrée par le président de la République dimanche dernier. Il se trouve que ses restes ont été découverts et identifiés il y a seulement quelques semaines.

- Pierre-Yves GAUDART

La découverte a eu lieu le 10 décembre dernier. « C’est un promeneur de la région parisienne qui a repéré des ossements dans les labours et nous a alertés », raconte Franck Viltard, chargé de mission du Chemin des Dames, au Départemen­t de l’Aisne. Sur place, l’historien constate alors la présence des vestiges d’équipement­s de soldats français, de nombreuses balles et repère une mandibule avec des dents.

Tous ces restes sont transférés provisoire­ment à la caverne du Dragon, le musée du chemin des dames. Puis un archéologu­e du service des sépultures de guerre de l’ONAC (office national des anciens combattant­s) procède à des fouilles qui mettront au jour un 2e corps et deux plaques d’identité. Celle de Francis Tar- divel, né le 11 mars 1895 à Languenan et celle de Mahama Alidji, né la même année, tirailleur sénégalais, originaire de Tombouctou, au Mali. À la suite d’analyses ADN, les scientifiq­ues constatero­nt la présence d’une 3e personne, mais l’absence de plaques ou d’autres indices ne permettra pas de connaître son nom.

« Nous étions angoissés à l’idée de ne pas identifier ces corps car, même si l’on trouve encore parfois des restes, la plupart du temps, leurs plaques sont dérobées par des promeneurs, explique le chargé de mission. C’est donc une découverte exceptionn­elle. » Et symbolique : Les deux soldats ont en effet été tués le 16 avril 1917, comme en atteste le registre des morts pour la France. Le jour le plus intense de la bataille du chemin des dames dont on célébrait le centenaire dimanche dernier. Leur drame a d’ailleurs eu lieu près du village d’Ailles que la violence des combats a fait disparaîtr­e totalement (1). Un Breton et un ’Sénégalais’, cela illustre bien, aussi, la particular­ité de cette bataille presque « franco-française », contre les Allemands : « Il n’y avait pas, contrairem­ent aux autres grands combats historique­s de cette guerre, la participat­ion des Britanniqu­es ou des Américains. » C’est aussi une bataille qui malgré ses nombreux morts est « restée dans l’ombre car il s’agissait d’une offen- sive qui a tourné à l’échec et a été suivie de mutineries. » Aujourd’hui, le centenaire du 16 avril 1917 remet en lumière le chemin des dames.

Inhumés ensemble

Les trois morts seront inhumés au cours du mois de juin, à Braine, à 15 km du lieu de la découverte, car les cimetières du chemin des dames sont saturés. Les trois corps auront la même sépulture car « ils sont indissocia­bles ». Francis Tardivel, qui appartenai­t au 53e régiment d’infanterie coloniale de SaintMalo ne pourra donc pas être restitué à sa famille de Languenan où son nom est gravé sur le monument aux morts. Bernard, son arrière-petit-neveu, qui sera présent à la cérémonie, nous explique, au passage, que les trois autres frères de Francis ont aussi fait la guerre de 14-18. Un seul d’entre-eux, Louis, est rentré vivant mais blessé et gazé. Il en est décédé en 1939. Pierre et Jean ont été tués respective­ment en 1914 et 1916, explique Daniel Guichard, de Saint-Jacut, qui a effectué des recherches sur cette famille.

Quant à Mahama Alidji, sa famille n’a pu être retrouvée car « une bonne partie des registres d’Etat-civil a disparu après la période coloniale », selon Franck Viltard. Ce que l’on sait de lui était sur sa fiche matricule.

Les noms des deux soldats identifiés seront mentionnés sur la croix de cette sépulture plus la mention du soldat inconnu.

Un choc cent ans après

Même cent ans après, une pareille découverte ne peut laisser insensible Franck Viltard. « Cela a été un choc véritable pour moi qui suis historien, épluche les archives et suis le parcours de tous ces poilus, d’être confrontés à ces restes, à ces équipement­s, en hiver, sur le plateau du chemin des dames, plongé dans la brume. Alors, apprendre qu’ils sont morts le 16 avril c’est encore plus fort : c’était un des pires carnages qui soient, une fournaise. Ces hommes étaient sous le feu des canons, au corps à corps. On sait, d’après ce qui a été retrouvé, qu’ils avaient de grosses quantités de munitions sur eux, des bandes de mitrailleu­se. Sont- ils morts tous les trois ensemble ou leurs corps ont-ils été déposés provisoire­ment après la bataille puis ensevelis par un obus. On ne le saura pas. » (1) Le nom a seulement survécu en étant accolé à celui de Chermizy-Ailles.

Newspapers in French

Newspapers from France