Le Petit Bleu

« Les chevaux sont des partenaire­s généreux »

La compagnie EquiNote a installé son chapiteau de 380 m2 derrière la mairie de la Vicomté-sur-Rance, pour trois représenta­tions de « Face cachée ». Voltige équestre, dressage libre et acrobaties aériennes sont au programme de ce spectacle tout public.

- Propos recueillis par Bernadette RAMEL

Vincent Welter, écuyer voltigeur, est l’un des membres fondateurs de la compagnie alsacienne EquiNote.

Le Petit Bleu : Votre parcours est particulie­r puisqu’avant de vous lancer dans le spectacle vivant, vous étiez dans l’agricultur­e…

Vincent Welter : Oui, j’ai fait des études agricoles pour m’installer dans le massif vosgien. Mais au cours de mes stages dans des fermes, j’ai découvert les chevaux. A 20 ans, j’en ai acheté un. Je me suis intéressé à l’éthologie. Je voulais savoir comment créer le rapport le plus fin possible entre les hommes et les chevaux. Comment l’aventure a-telle débuté ?

En 2007, on est parti sur les routes, de Strasbourg vers le Tarn. Il y avait Sarah (Dreyer, autre membre fondateur de la compagnie, NDR), moi, deux musiciens et deux chevaux. On marchait entre 30 et 40 kilomètres par jour, on sonnait le clairon et on faisait le spectacle, un peu à l’arrache. En 2009, on a rencontré la compagnie Pagnozoo. J’ai pu me former, pendant un an, à la voltige équestre. Vous avez alors fondé EquiNote, en 2010…

Oui, mais nous n’avions pas encore lâché l’agricultur­e. On faisait du lait et du fromage. On a voulu s’associer avec un autre couple de paysans, pour pouvoir faire du spectacle équestre à la ferme. On a organisé un premier repas-spectacle. Ça s’appelait « Les chevaux sur la soupe ». Mais il a fallu choisir, ce n’était pas possible de mener la ferme et la compagnie de front. En 2011, EquiNote a vraiment pris son envol. On est devenu un cirque équestre itinérant. Notre spectacle « Terre à ch’val », a tourné pendant quatre ans. On a pu se faire connaître des collectivi­tés, qui nous ont beaucoup soutenus, ensuite, pour la création du spectacle « Face cachée ». Vous êtes en permanence sur les routes ?

Oui. Nous n’avons pas de lieu à nous, on vit en caravane. A la ferme, on vivait déjà en yourte ; on n’a jamais aspiré à avoir une grande maison. C’est une forme de liberté de vie, de frugalité. On ne s’encombre pas. En général, on va d’un lieu de représenta­tion à un autre. Mais quand les dates ne s’enchaînent pas bien, on va chez d’autres compagnies, dans des centres équestres, sur des terrains de foot… Une fois, on s’est retrouvé près d’un hôpital psychiatri­que, qui avait suffisamme­nt de terrain pour les chevaux. Comment décrire « Face cachée » ?

C’est un spectacle avec des chevaux, mais qui associe plusieurs discipline­s. Du dressage en liberté, de la voltige de cirque (des acrobaties debout sur la croupe de l’animal), de la voltige casaque (avec une selle). Il y a aussi des acrobaties aériennes : du trapèze et de la corde lisse. Tout cela au service d’un propos, qu’on a nommé « les carapaces ». Ces « carapaces », ce sont toutes ces couches de protection que l’on se met pour pouvoir vivre en société… Il y a donc un peu de théâtre dans ce spectacle ?

Oui, mais sans beaucoup de paroles. Il y a plusieurs degrés de lecture, mais l’histoire est celle de quatre personnage­s, qu’on suppose être une forme de fratrie. Ils se retrouvent dans un bar insolite… fréquenté par des chevaux ! D’abord, ils se comportent de façon stéréotypé­e, mécanique. Puis, ils se découvrent au contact des autres, et des animaux. De robotisés, ils deviennent plus joyeux, se mettent à faire des choses qu’ils n’avaient jamais osé entreprend­re jusqu’ici… Cinq chevaux font partie de la distributi­on…

Oui, ils ont tous une dizaine d’années. Quatre hongres - Quimper, Popeye, Lugano, Mosquitos - et Kalyne, une jument. Trois d’entre eux sont des chevaux de trait qui, pour la voltige, doivent supporter 150 kilos sur eux, au galop, sur une piste de 13 mètres ! Deux sont des chevaux de selle, pour le dressage en liberté. Ils ont tous une discipline de prédilecti­on, mais on ne veut pas les enfermer dedans. Nous avons par ailleurs deux autres chevaux en formation. Comment avec eux ?

Ce sont de supers partenaire­s de jeu, à la fois généreux… et un peu thérapeute­s. Avec eux, il s’agit de respect mutuel, de créer une vraie relation. Ce n’est pas un rapport dominant-dominé. Le cheval n’a pas besoin de l’homme pour être heureux. Il est content de brouter tranquille, sans qu’on le dérange. Il n’a pas travaillez-vous « envie » de travailler ! Alors il faut lui rendre sa générosité. Cependant, il peut être stressé par les lumières, le public ?

Mon cheval de voltige, Quimper, a toujours une émotivité très forte. Mais c’est à nous de gérer ça. Si le cheval galope trop vite, il faut savoir relâcher… Pendant la voltige, à nous d’être à l’écoute, d’être le plus possible synchronis­é avec lui. L’animal ne fait jamais d’erreur, c’est toujours à nous de nous remettre en question. Cela ne se voit pas forcément mais je parle beaucoup à mes chevaux durant le spectacle. Utilisez-vous des récompense­s pour obtenir leur collaborat­ion ?

Non, nous ne leur donnons pas de sucres. Nous ne travaillon­s pas comme ça car cela les rendrait très dépendants. Il peut arriver qu’on leur donne des carottes, mais ça reste exceptionn­el. En fait, ce qu’on peut leur donner de mieux, c’est du confort. Les laisser peinards dans un pré. Lorsqu’on travaille, il nous arrive de leur tourner le dos, pour leur faire comprendre que c’était bien. Ainsi on relâche la pression mentale… Notre but, c’est qu’humains et chevaux soient bien dans ce qu’ils font. C’est cela qu’on veut trans- mettre au public. Le spectacle, qui en est bientôt à sa 100e représenta­tion, a-t-il beaucoup évolué au fil des années ?

Bien sûr. Arnault Mougenot, le metteur en scène, nous suit régulièrem­ent. Cela permet de remettre de l’huile dans les rouages. On demande aux chevaux de ne pas s’endormir, de rester réactifs. A nous aussi de garder ce côté pétillant. Préparez-vous une nouvelle création ?

Fin mai, on va commencer à lancer des idées. On espère proposer un nouveau spectacle en 2019. Mais d’ici là, nous avons la chance d’avoir été sélectionn­és par la Région Grand Est pour participer au off du festival d’Avignon. Nous allons y jouer « Face cachée », pendant trois semaines.

« On ne s’encombre pas » « Un bar insolite » « Le cheval n’a pas besoin de l’homme pour être heureux »

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