Des boîtes qui peinent à recruter
Les derniers chiffres du chômage ne sont pas bons pour le bassin dinannais. Les demandeurs d’emploi y sont en augmentation. Pourtant, des entreprises cherchent à embaucher, mais ne trouvent pas les candidats dont elles ont besoin. Pourquoi ?
À Taden, la carrosserie dinannaise cherche un peintre et un carrossier. À Dinan, JPF industries recrute deux électriciens. À La Landec, le garage Godard tente de trouver deux mécaniciens Poids lourd. À Plancoët, Coraxes (mécanique de précision) voudrait engager (encore et toujours) au moins une personne.
Point commun entre ces quatre entreprises (et elles ne sont pas les seules dans ce cas) : ça fait un moment qu’elles cherchent à embaucher, mais elles ne parviennent pas à trouver les personnes dont elles ont besoin. Pourtant, le nombre de demandeurs d’emploi ne cesse d’augmenter dans le bassin dinannais (lire ci-dessous).
« Ça fait deux ans que je cherche », en sourirait presque Frédéric Moy, le patron de JPF Industries, qui du coup a fait inscrire sur les véhicules de sa société un message pourtant clair : « Nous recrutons, rejoignez-nous. » Sans succès.
Décalage offres et demandes
Depuis plusieurs semaines maintenant, Yves Lucas, le patron de la Carrosserie dinannaise a fait poser sur le grillage de son garage des bâches qui indiquent ces besoins en recrutement, « mais si j’ai bien eu quelques contacts, les profils ne correspondaient pas », se désespère-t-il. Bernard Departout (Coraxes à Plancoët), l’un des premiers à avoir installé des bâches indiquant ses intentions d’embauche, est, lui, au bord du découragement, « je les laisse parce qu’on est dans une région touristique et qu’on ne sait jamais, un vacancier pourrait être intéressé… », soupire-t-il, désabusé de tant peiner à trouver du personnel localement.
Lui pointe du doigt certaines lourdeurs administratives qui en outre compliqueraient les procédures d’embauche. Mais il faut aussi, sans doute, chercher ailleurs d’autres pistes d’explications.
« D’abord, ce n’est pas nouveau, en tout cas dans notre métier de la mécanique poids lourd, c’était déjà comme ça du temps de mon père », souligne Hervé Godard. « On a des offres d’emploi, on a des demandes d’emploi, mais elles ne correspondent pas forcément entre elles, observe pour sa part Laurent Hamon, à Pôle Emploi. On a beaucoup de recrutements dans l’industrie, la mécanique ou la maintenance. Les demandeurs cherchent plutôt dans la garde d’enfants, la vente, le secrétariat ou le magasinage. » Problème de qualification et de formations.
Les formations inadaptées ?
« On a dévalorisé les métiers manuels à une époque », regrette Yves Lucas. « Tout a été pensé pour les métiers à col blanc », fustige Bernard Departout, qui craint aussi que les métiers évoluent plus vite que les formations, « on voit parfois des jeunes qui ont envie, sont intéressés, mais dont les niveaux ne sont plus adaptés aux besoins de l’entreprise. »
« Clairement, il existe un décalage évident entre les formations dispensées et les besoins du marché du travail, s’étonne Thierry Godest, l’un des patrons de l’entreprise Effitech à Taden. Tous les métiers de la mécanique et de l’industrie sont en tension, cherchent des jeunes qualifiés, mais certaines filières techniques ont été tout simplement arrêtées, à Dinan au lycée de la Fontaine des eaux, par exemple. On ne forme plus les jeunes pour certaines filières ». Selon lui, la région dinannaise souffrirait en outre de n’avoir jamais été un bassin à vocation vraiment industrielle, « pour recruter des gens qualifiés et expérimentés, il faut souvent aller chercher dans d’autres régions. Ça suppose de venir avec toute sa famille, et ça ne facilite pas les recrutements. »
Une région pas assez industrielle ?
Sauf quand il s’agit d’un choix de vie comme cela l’a été pour un employé de la Carrosserie dinannaise récemment recruté, « un garçon de la région parisienne, qui voulait absolument quitter l’Ile-de-France, qui avait ciblé la région de Saint-Malo, et qui, un jour, a fait un allerretour dans la journée pour venir taper aux portes des carrosseries du coin. Cette fois-là, j’ai eu de la chance », témoigne Yves Lucas. Lui est moins convaincu, dans son domaine en tout cas, par les problématiques de formation, puisque du CFA d’Aucaleuc, aux portes de Dinan, sortent de nombreux jeunes diplômés chaque année. « Mais ils viennent parfois de loin et retournent dans leur région, une fois le diplôme obtenu. Ils sont aussi plutôt attirés par les grandes villes, ils préfèrent souvent travailler à Rennes plutôt qu’à Dinan. » Sans compter « qu’il est de plus en plus rare pour un jeune de faire toute une carrière professionnelle dans un même métier, et encore moins dans une même entreprise. »
Sur les 25 apprentis qu’il a formés, Hervé Godard n’en compte plus que cinq dans ses ateliers, « les autres ont changé d’entreprises parfois, d’orientation souvent. »
Autre point soulevé celui-là par Frédéric Moy, pour certains métiers qualifiés et recherchés, « l’intérim est parfois plus confortable pour le salarié, cela lui laisse plus de liberté, avec la garantie de trouver des missions à volonté. » Et des salaires parfois supérieurs (prime de précarité) en sus.
Volontés politiques et initiatives locales
Quelle solution, alors ? « Il faut des volontés et des décisions politiques », assène Hervé Godard. Et des initiatives locales comme celles qu’il va mettre en place en lien avec la Région et Pôle Emploi, « pas que pour moi mais aussi pour d’autres garages de Bretagne, et déclinable à d’autres métiers. » Une action d’accompagnement des demandeurs d’emploi, avec cette proposition forte : « Il y a trop d’erreurs d’orientation, des choix de filière mal pensés dès le départ. Il faut permettre à des jeunes de venir découvrir les entreprises. Mais pas sur trois jours, sur un mois, pas seulement pour observer mais en les intégrant aux équipes. Et à l’issue, dresser un bilan. »
Avec le CEPR (club des entreprises du Pays de Rance) qu’il préside, et cette fois avec Dinan Agglomération, l’agglo de Saint-Malo et Pôle Emploi, une opération « Boost emploi » sera bientôt organisée, sur une journée celle-là. « Les entreprises ne connaissent pas toujours bien les dispositifs et aides possibles mis en place par Pôle Emploi, qui ne connaît pas toujours nos besoins. Et on fera venir des demandeurs d’emploi dans des entreprises qui recrutent », décrit Hervé Godard.
Une opération de plus, penseront certains. Difficile d’évaluer celles qui ont précédé. Elles ont en tout cas eu le mérite d’exister. La lutte contre le chômage passe aussi par là.