Le rapport des experts à contre-courant
Au début de l’année, le ministère de l’Environnement avait chargé une mission d’inspection de travailler sur l’envasement de l’estuaire de la Rance. Son rapport est désormais public. Le barrage est certes responsable mais pas trop chargé.
Barrage responsable.
Beaucoup de choses dans ce rapport de 67 pages rédigé par quatre ingénieurs. En terme de responsabilités, pas de doute, le barrage EDF construit il y a cinquante ans a provoqué « une aggravation sensible du phénomène naturel de sédimentation » . Cela affecte partiellement « la navigation, l’accès aux mouillages, la baignade, etc. »
Pas de dragage massif.
La mission ne sort pas la grosse Bertha dans ses recommandations. Bien au contraire : elle déconseille un dragage massif de la Rance, en raison des coûts mais aussi des conséquences possibles sur les habitats et la biodiversité. Outre des dragages en divers points, elle évoque des chasses hydrauliques en amont et aval de l’estuaire grâce aux différents barrages existants, ainsi que « des dispositifs légers de concentration des courants » .
Une expérience sur 5 ans.
Tout doit démarrer par l’expérimentation malgré 20 ans d’opérations diverses menées par Coeur Emeraude (Coeure). Car, dit le rapport, « la projection du volume global à extraire de 2 750 000 m3 n’apparaît pas étayée ». L’expérimentation, de 2018 à 2023, consisterait à extraire 50.000m3 par an. Cela permettrait de déterminer les zones d’extraction à privilégier, les techniques à utiliser (chasses, gestion hydraulique coordonnée, etc.), sans créer des perturbations dans d’autres zones.
La valorisation agricole ne suffira pas.
Coût de l’expérimentation : 5M € auxquels s’ajouteraient 3M € pour la recherche et le développement car il faut bien, entre autres, trouver des débouchés à cette vase. La mission estime en effet que la valorisation agricole enclenchée cette année a ses limites. Ce plan de gestion des sédiments s’appuierait sur un conseil scientifique formé d’experts de niveau international. Et la maîtrise d’ouvrage serait confiée à une structure unique de type ’société d’économie mixte’. Au passage, la commission suggère d’intégrer Coeur Emeraude au syndicat mixte, bassin Rance, Frémur, baie de Beaussais
Lyvet 3. Avant tout cela, il y a urgence : le vidage du piège à vase du Lyvet dite ’ Lyvet 3’ pour 1,5 M €. Il aurait dû démarrer cet automne mais se trouve bloqué. EDF ne veut plus financer (ce plan englobe l’extraction dans le piège à sédiment de Lyvet, la décantation dans le centre voisin et la livraison des vases séchées chez les agriculteurs comme cela a été fait pour Lyvet 2 achevé cette semaine), notamment en raison des gros déficits rencontrés depuis quelques années par son usine marémotrice.
Comment financer.
La note s’élève à 9,5M € pour ce programme de cinq ans. La mission reprend l’idée d’un complément de rémunération pour l’énergie marémotrice comme cela existe pour d’autres énergies renouvelables. Sinon, il faudra trouver une clé de répartition financière entre les différents acteurs, EDF freinant pour l’instant des quatre fers. Forcé- ment, de cette expérimentation dépendra la suite car la Rance ne sera pas tirée d’affaire. C’est 55 millions qu’il faut envisager pour les 25 prochaines années (jusqu’à la fin de la concession d’EDF pour laquelle la mission préconise un avenant de façon à responsabiliser davantage EDF pour la navigation dans l’estuaire de la Rance et la gestion des sédiments).
Un point positif pour le barrage.
Le rapport s’interdit de quantifier la part de l’envasement dont est responsable le barrage. Il constate que des chiffres très divers circulent sur la question mais rien de scientifique. Il voit d’ailleurs des effets positifs à l’ouvrage qui, « en limitant l’amplitude de la marée facilite la navigation permanente dans des zones qui seraient découvertes à marée basse » .
La mission met également la pédale douce sur les questions de biodiversité.
« Il s’agit d’une biodiversité différente correspondant à une évolution des populations observable également au sein des estuaires non modifiés par l’homme. » Donc, le barrage ne serait pas l’unique cause des transformations rencontrées en un demi-siècle. Il n’empêche que le paysage a changé de façon « spectaculaire » et cela est « mal ressenti par les habitants qui voient leur environnement visuel se transformer progressivement. Les plages tendent à disparaître au profit des vasières, l’estuaire se comble progressivement en évoluant vers un paysage de zones humides » . Bref, la mission se dit plus sensible aux questions des usages et paysages qu’à la biodiversité, allant ainsi à contre-courant de Coeure !
Coeure contredite parfois.
L’association des élus et usagers de la Rance est souvent félicitée mais parfois contredite par cette mission qui estime difficile d’envisager l’épandage des vases à grande échelle, l’estuaire étant bordé par des sites protégés. Différence de point de vue également sur le ’ statut’ de cette vase : Coeur se plaint qu’elle soit considérée comme un déchet ce qui freine certaines procédures. La mission pense mieux nager dans cette mer des Sargasses réglementaires : « Les sédiments, une fois ressuyés au sein de la station de transit n’ont subi aucune transformation, il n’apparaît donc pas qu’ils doivent être traités autrement que les sables coquilliers, qui ne sont pas considérés comme des déchets. D’autant qu’ils ont des propriétés fertilisantes proches de celles des sables coquilliers, à savoir la diminution de l’acidité des sols. » Le statut de déchets, un faux problème, donc ?
Métaux lourds. Les vases ne sont pas totalement saines pour autant. La mission souligne la présence de métaux lourds (nickel, zinc), ainsi que de composés chimiques, qui justifient le fait qu’on ne puisse épandre de trop grosses quantités sur les sols agricoles ! (Lire l’encadré).
Un plan pérenne. Il faut donc trouver d’autres valorisations comme la création de sols (terre végétale), la fabrication de matériaux de construction etc. qui feront de « ces vases une ressource et non plus un déchet dont il faut se débarrasser à grands frais » (25 €/ m3).
La mission s’intéresse également à la création d’une filière de valorisation des produits marins initiée par Coeure.
En conclusion, elle confirme que la phase d’expérimentation à concevoir doit avoir un double objectif : « Celui de limiter ou de supprimer tout apport sédimentaire significatif nouveau à partir de 2017, et celui d’aboutir au terme de six ans en 2023 à un choix de gestion sédimentaire durable de l’estuaire ».