Le Petit Bleu

Alain Lepage, alchimiste du goût

À Pleudihen-sur-Rance, chez les Celliers Associés, il est le garant de la qualité des cidres Val de Rance. Celui aussi par qui arrive la nouveauté.

- Pascal CAYEUX

La ronde des tracteurs tirant des remorques débordant de pommes n’en finit pas. Comme aimantés, ils mettent le cap sur Pleudihen, destinatio­n « Val de Rance », la marque des cidres bretons des Celliers Associés (1). C’est la pleine période de la récolte. Depuis la fin septembre et jusqu’à la fin novembre, l’usine va tourner 7 jours/7 et 24 h/24.

Le cru 2017 s’annonce bon, « le fruit se tient bien, on a une belle teneur en sucre. La qualité d’un cidre, c’est d’abord la qualité des pommes ». Parole d’un expert, celle d’Alain Lepage, maître de chai. Maître du temps aussi, « la récolte a 15 jours d’avance cette année. Et la douceur du climat de ces derniers jours accélère la maturation. On n’a pas une minute à perdre… ». Effervesce­nce dans le cidre. Tout est minuté, 48 heures entre la récolte et la livraison, à peine plus entre la réception et le pressage.

Du nez et du palais

À chacune des six étapes du processus de fabricatio­n (réception des pommes, lavagebroy­age, pressurage, fermentati­on, assemblage, embouteill­age), le maître de chai est sur ses gardes. Tous ses sens en éveil, « le maître de chai, c’est le responsabl­e de la fabricatio­n, du tri des pommes à la mise en bouteille », résume Alain Lepage.

Oui mais non. L’explicatio­n est trop courte, trop simple, trop modeste. Parce que le maître de chai n’est pas seulement un technicien, c’est un aussi un créatif, un intuitif. Y’a comme une dimension artistique dans le job. Faut du palais, du nez. Du talent. Ça s’apprend, ça se travaille, ça s’entretient. Pour le cidre comme pour le vin, dans les cuves comme dans les caves. Maître de chai chez les Celliers à Pleudihen ou dans un château prestigieu­x du Médoc, c’est le même métier, « on peut établir une analogie, pour la fermentati­on, les assemblage­s ».

Obtenir un produit « le plus régulier possible », c’est l’objectif du maître de chai, tout en respectant les typicités régionales. Le cidre breton n’est pas le cidre normand. Et celui de la vallée de la Rance, « c’est une légère amertume ponctuée d’une pointe d’astringenc­e avec une belle couleur orangée et des notes fruitées, caractéris­tique des pommes locales, Jeanne Renard, Chevalier Jaune, Marie Menard…, une quinzaine de variétés de base », peut-on lire sur le dossier de presse de Val de Rance. « Le cidre est en train de gagner ses lettres de noblesse », estime Alain Lepage.

Lui est tombé tout petit dans le pressoir, « mon père faisait son cidre ». C’est de là qu’est née sa passion, pas un mot passeparto­ut en ce qui le concerne, qui l’a conduit d’abord vers un BTS agro-alimentair­e, puis vers une licence en produits fermentés avant d’obtenir, en formation continue, un diplôme d’ingénieur.

Pas seulement avec des crêpes ou des galettes

C’est chez Le Guillevic, un fabricant de cidre du côté de Colpo dans le Morbihan, qu’il a commencé. Puis pendant 22 ans, il a été conseiller cidricole à la chambre régionale d’agricultur­e. C’est là que les Celliers Associés l’ont gentiment débauché, en 2011. « Le cidre a bénéficié d’importante­s évolutions techniques à partir des années 1990, pour le pressurage et la fermentati­on, dans les systèmes de filtration », note Alain Lepage.

Mais si les méthodes de production ont changé, les goûts des consommate­urs aussi. Aujourd’hui, le cidre n’est plus seulement doux, brut ou traditionn­el, il se décline en couleurs (rosé) et en maints parfums. « Il ne faut plus le limiter aux crêpes et aux galettes », il faut lui trouver d’autres… débouchés. Pour l’apéro ou avec des grillades, pour le dessert. Le marketing est passé par là. Alors, le cidre s’aromatise, au pamplemous­se, à la pêche ou à la framboise, bientôt au citron et au gingembre, fruit du travail de l’équipe Recherche et Développem­ent d’Alain Lepage. Au labo, c’est pipette et doseur, pour expériment­er et tester de nouveaux assemblage­s. Et les valider. Ou pas. Bientôt, pour obtenir des notes boisées, c’est un vieillisse­ment en fûts de chêne qui sera essayé.

Alain Lepage mémorise les arômes, apprécie les équilibres en bouche. « On donne naissance à quelque chose. À chaque fois, c’est une création ». Et c’est ce que le maître de chai aime par dessus tout.

( 1) Deuxième intervenan­t sur le marché du cidre en France ; 466 producteur­s locaux ; deux sites de production à Pleudihen et Condé/Vire (cidre de Normandie) ; 102 salariés ; 279 000 hectolitre­s produits chaque année ; 37 millions d’euros de chiffre d’affaires.

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Alain Lepage au milieu des cuves, attentif à l’évolution de la fermentati­on.

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