Le Petit Bleu

La malchance du Poilu J.-B. Lemoine

Benoist Lemoine, de Brusvily, est sensible à l’histoire de ses aïeux qui ont fait la guerre 14-18. Il s’est rendu récemment au cimetière où est inhumé son arrière-grand-oncle, mort pendant la bataille du Chemin des Dames.

- Pierre-Yves GAUDART

Jean-Baptiste Lemoine a, sans doute, bien des points communs avec les poilus qui ne sont pas revenus de la guerre 14- 18. Comme eux, il a joué de malchance. Né le 21 mai 1881, à Saint-Launeuc, dans les Côtes du Nord, ce paysan de Trémorel ne se marie qu’à l’âge de 33 ans en… mai 1914. Il verra donc peu son épouse. « Le reste de sa vie sera voué à la 1ère guerre mondiale » , relate Benoist Lemoine, son arrière-petit-neveu. « Nous avons 99 ans d’écart. Il est mort à l’âge que j’ai aujourd’hui, 37 ans » , explique le jeune homme, touché par le destin de cet ancêtre.

Benoist qui s’est déjà penché sur les carnets de son arrièregra­nd-père Elie Préauchat, rentré gazé de la guerre de 14-18 a reconstitu­é le parcours de cet autre aïeul. Un travail réalisé à partir de son JMO (journal de marche et d’opération) consultabl­e sur le site internet Mémoire des Hommes. Les zones d’ombre, il ne peut les combler que par des suppositio­ns.

Jean-Baptiste Lemoine appartient au 71e régiment d’infanterie de Saint-Brieuc. Il participe aux batailles de Charleroi, de la Guise, lors des invasions allemandes d’août et septembre 1914 puis de la Marne (en seconde ligne).

Maintenu au front par nécessité

Il est blessé à la jambe en octobre 1914 par un éclat d’obus, lors de la première bataille d’Artois près d’Arras, puis se rétablit. Nouveau coup du destin : en octobre 1915, alors qu’il a intégré le 410e régiment d ’infanterie de Coëtquidan, il passe à la territoria­le, c’est à dire qu’il n’est plus censé combattre mais servir l’intendance, s’occuper des chevaux, par exemple. Or, la France manque d’effectif, il est donc maintenu dans les régiments de front.

Père d’un ’bébé permission’

Benoist Lemoine imagine que son ancêtre a bénéficié d’une permission vers octobre ou novembre 1915 car son épouse donnera naissance à un petit Raymond, le 17 juillet 1916. Un ’ bébé permission’, comme on dit, qui connaîtra lui aussi un funeste destin : il meurt à 24 ans, le 7 juin 1940, à Chaulnes. Passager d’un sidecar, le jeune soldat a sauté sur une mine. C’était à quelques jours de la capitulati­on française… Raymond est mort dans la Somme à 100 km du lieu où son père a perdu la vie, dans la bataille du Chemin des Dames. Et rien ne dit que Jean-Baptiste ait pu, un jour, voir son enfant, lors d’une nouvelle permission. Tous les deux ont aujourd’hui leur nom sur le monument aux morts de Trémorel.

Pillage

Qu’apprend- on encore sur Jean- Baptiste Lemoine ? « Il est dit, dans sa fiche matricule militaire qu’il a été transféré à la prévôté (la gendarmeri­e militaire) pour une affaire de pillage » , explique son arrière-petit-neveu. « Mais je ne pense pas que les faits étaient graves car aucune période n’a été décomptée de son temps de guerre. Quoi qu’il en soit, la faim et la soif étaient souvent compagnes des poilus au début de la guerre. L’intendance ne suivait pas. Il a peutêtre vidé une cave ou un poulailler avec d’autres soldats ? Un lieu peut-être déserté par les habitants qui fuyaient les combats ? »

A trois heures près

En 1917, le Breton est intégré au 403e régiment d’infanterie de Mailly (Aube et Marne). Il participe à l’offensive du chemin des dames à partir du 16 avril 1917. Et meurt le 1er septembre par un éclat d’obus, à Craonnelle, près de la ’tranchée neuve’. Il est 20h. Trois heures plus tard, son régiment était relevé… « De toute façon, il a sans doute eu cent fois l’occasion de mourir » , précise Benoist Lemoine.

Hommage des descendant­s

Le 17 avril dernier, au lendemain de la cérémonie du centenaire de la bataille du Chemin des Dames, Benoist Lemoine s’est rendu avec ses deux fils de 5 et 9 ans et sa compagne au cimetière où est inhumé JeanBaptis­te. Ils ont accroché sur sa tombe un portrait-médaillon du poilu breton. « La seule image que nous avons de lui, c’est la photo de mariage de son frère où il apparaît, marqué d’une croix, au crayon. C’était important de lui redonner une apparence, un visage, sur sa sépulture, identique à 3.909 autres » , explique le Brusvilien.

« Lors de cette journée, nous avons aussi visité le champ et le sous-bois où il est mort. Nous avons pu localiser la tranchée neuve grâce au croquis et au récit de l’officier du régiment établis en août 1917. J’ai réalisé des métrés pour y parvenir. Là-bas, dans les champs, la terre vomit l’acier : les bombes, les cartouches, les grenades alors qu’elle a avalé bien des corps sans les restituer. Le départemen­t de l’Aisne a été dévasté à 80 %. Aujourd’hui encore, parce que la nappe phréatique a été polluée, l’eau du robinet est déconseill­ée aux femmes enceintes. Et l’on voit toujours dans les bois les stigmates de cette guerre : trous d’obus et tranchées. À mes yeux, ces soldats ne sont pas morts pour la France mais pour l’Europe car l’Allemagne est notre alliée aujourd’hui. »

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Baptiste, Alexis et Benoist Lemoine, près de la tombe de leur ancêtre.

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