La pénurie, vraiment ?
La crise du beurre en pays de Dinan
Paroles d’un producteur de lait Paroles d’un fabricant Paroles de boulangers
Ce matin, c’est Dominique qui s’occupe de la traite. Il est 8h et 80 vaches vont se présenter, plus ou moins de bon gré, devant la trayeuse. Après une désinfection personnalisée, une lingette pour chaque pis, Dominique place l’appareil qui aspire le liquide goulûment.
850.000 litres de lait sortent ainsi du Gaec de Peyrouse, à Jugon-les-Lacs, chaque année. C’est l’équivalent de trois troupeaux, repris par des enfants d’agriculteurs, installés au fil des départs en retraite.
Des quotas quand même
Une vie qu’ils ont choisie mais dont ils mesurent mal l’évolution. « Aujourd’hui, le lait nous est payé au même prix qu’en 1996, deux ans après mon installation dans la ferme. C’est vrai, il remonte tout doucement car il y a plus de demande, on est à 31 cts le litre contre 27 en 2016. Mais il était à 35 cts en 2015 ! » , commente Dominique. « En fait, il a surtout augmenté pour le consommateur depuis 20 ans. C’est donc légitime de se demander qui en profite. »
Depuis 2015 et l’abandon des quotas laitiers par l’Europe (une production maximale était fixée par exploitation), le marché ne s’est pas complètement libéralisé en France. « Les laiteries nous soumettent à de nouveaux quotas. On ne fait pas ce qu’on veut. Contrairement à certains pays où la production a augmenté, comme en Irlande. »
Cependant, les laiteries peuvent décider d’augmenter les droits à produire, selon leurs besoins. C’est ce qui est appelé le quota B, moins bien payé, certes (23cts ces deux dernières années) mais pas négligeable pour le revenu global des agriculteurs. « Depuis 2015, nous avons pu accroître notre production d’un quart. C’est beaucoup. Mais cette année, a priori, on ne nous demandera pas d’en faire plus alors qu’il y a des besoins. Plus de lait permettrait de faire davantage de beurre… » souligne Dominique,
Le lait écrémé se vend mal
Actuellement, avec la forte demande de la Chine et des États-Unis pour la matière grasse laitière, le renversement de tendance est réel. « Les volumes de production n’ont pas augmenté dans le monde alors que les industriels vendent plus de produits laitiers transformés avec du lait entier mais aussi du beurre et de la crème. »
Le problème, c’est que, pour faire du beurre, on a besoin seulement du gras. Et que le reste, le petit-lait, ou lait écrémé, très riche en protéine, transformé aujourd’hui en poudre, ne trouve pas vraiment preneur. D’où le frein de certains industriels à transformer plus de lait en beurre… « On a des stocks de poudre de lait énormes en Europe. Et ça plombera le marché, tant qu’ils n’arriveront pas à la vendre. »
7.000€ la tonne
Et qui dit moins de production, conjuguée à une forte demande, dit explosion des prix. De 4.200€ en début d’année, la tonne de beurre vaut aujourd’hui 7.000 €. « Les industriels préfèrent livrer les pâtissiers ou autres transformateurs qui ont bien augmenté les prix. Contrairement à la grande distribution qui préfère ne pas payer plus cher. Elles ne sont donc pas livrées en priorité. »
Chaque fin d’année, des négociations pour fixer le prix des produits pour l’année à venir, se déroulent avec la grande distribution. Le beurre étant à un prix faible début 2017, rien ne pouvait l’obliger à le payer plus cher en cours d’année. La « pénurie » de beurre de cette fin d’année, surtout si elle se confirme, devrait peser dans ces négociations, qui ont commencé, pour 2018. Voire remettre à plat un système plus vraiment adapté à l’évolution rapide des modes de consommation.
« On voit bien, avec ce système, que le consommateur n’est plus la priorité. La seule façon de s’en sortir, c’est de reprendre conscience que l’alimentaire doit avoir de l’importance dans son budget quotidien… »