Le Petit Bleu

Un vide à l’Espace femmes

Christiana Baptiste jette l’éponge. Au cours d’une quinzaine d’années, elle a reçu, au sein de l’Espace Femmes, 500 victimes d’agressions sexuelles. Aujourd’hui, faute de moyens, elle cesse ses fonctions.

- PYG

Hasard du calendrier, c’est au moment où l’on n’a jamais autant parlé des agressions et du harcèlemen­t subis par les femmes que Christiana Baptise capitule. Pas suffisamme­nt payée à son goût, ne disposant que d’ « un local sans fenêtre », elle et son employeur, l’associatio­n Steredenn, se séparent par rupture convention­nelle de contrat. Elle ne jette pas la pierre à l’associatio­n d’éducation populaire : « Steredenn a, dès le départ, engagé des fonds pour pallier les retards des subvention­s européenne­s qui devaient porter l’Espace Femmes » .

Selon elle, cette structure qu’elle a contribué à monter avec d’autres bénévoles, au début des années 2000, a toujours manqué de moyens. Récemment, une table ronde était organisée ainsi que des appels lancés pour une nouvelle gouvernanc­e face à une situation qui s’aggrave financière­ment.

De nombreuses victimes sur le territoire

Devenue salariée en 2004, Christiana Baptiste, s’est occupée des personnes qui ont subi des violences jusqu’à créer, cinq ans plus tard, un accueil spécifique pour les victimes d’agressions sexuelles, unique en Côtes d’Armor. « Elles sont en nombre, sur ce petit territoire qu’est le pays de Dinan » , constate celle qui fut, elle aussi, une victime, dans son pays d’origine, l’Allemagne. Au cours de ses années de travail, elle a reçu pas moins de 500 personnes ayant subi des violences.

Le faible taux de condamnati­on

Écouter des femmes battues par leur conjoint ou/et victimes d’agressions sexuelles, les orienter vers divers services, en accompagne­r certaines au tribunal : voici quelques aspects du travail de l’ex-salariée à mitemps, qui a souvent dressé d’amers constats. « En 12 ans, je n’ai vu qu’une seule affaire de viol jugée aux Assises. Il ne semble pas toujours simple de prouver ce crime qui se voit alors requalifié en agression. Il faut savoir qu’en France, 120.000 viols sont enregistré­s chaque année, 10 % connaissen­t des suites judiciaire­s et seulement 3 % font l’objet d’une condamnati­on. Parfois, c’est en raison de prescripti­ons (qui n’existent pas dans des pays comme la Suisse ou la Californie) mais pas seulement. »

Selon l’ex- permanente, les victimes sont « souvent amnésiques des chocs traumatiqu­es qu’elles ont subis. Ce sont uniquement des bribes qui leur reviennent. Or, après, il faut prouver l’acte de viol. Les neuroscien­ces, la police scientifiq­ue ont fait évoluer l’établissem­ent de la preuve mais les agressions peuvent dater avant que la victime porte plainte ». Et puis, il y a des progrès sociétaux à faire dans ce pays.

Oui à balanceton­porc

Pour la Dinannaise, un site comme Balanceton­porc. com, né après l’affaire Weinstein ne doit donc pas susciter de débats. « C’est une façon d’aider les victimes (hommes ou femmes) à s’exprimer. Certains redoutent les fausses allégation­s, mais c’est le même argument que l’on entend à chaque fois qu’une agression sexuelle est dénoncée. Ou alors on dissuade la victime en arguant du fait qu’elle va faire éclater une famille. En réalité, on ne recense qu’entre 3 et 10 % de mensonges, sur l’ensemble des agressions sexuelles » , relativise donc Christiana Baptiste.

Des faits qui sont, dans l’immense majorité, commis dans l’entourage proche des victimes. Et dont on ne se relève jamais intact, au point, pour certaines, d’être dans « un état de stress permanent, de vigilance constante » . Christiana Baptiste a encore à l’esprit cette femme qui n’avait pas supporté de se retrouver, « au cours d’une formation avec une seule personne du même sexe et 12 hommes » .

Les conséquenc­es des violences

L’ex-permanente (formée à la Gestalt-Thérapie) a donc aussi « accompagné des personnes sur le plan thérapeuti­que » car les victimes ont souvent peu de moyens financiers pour accéder aux praticiens libéraux. « Les violences infligées constituen­t en effet un frein puissant à leur insertion profession­nelle. » C’est bien ce qui l’inquiète maintenant qu’elle arrête et a le sentiment de « lâcher » ces personnes qu’elle a aidées : « Intervenir au sein d’une associatio­n me semblait une solution équitable. Qui sait ? D’autres structures souhaitero­nt peut-être se saisir de cette problémati­que ailleurs que dans un hôpital, dans la gendarmeri­e ou devant le tribunal de grande instance et alors, je pourrai continuer… »

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