Une Plancoëtine pionnière du féminisme
L’universitaire Isabelle Le Boulanger vient de consacrer un livre passionnant à la Plancoëtine Marie Le Gac-Salonne, la première féministe à militer en Bretagne. Une pionnière qui n’a malheureusement pas la postérité qu’elle mérite. Pas même à Plancoët…
A Plancoët, le nom de Salonne évoque surtout MariePaule Salonne, femme de lettres reconnue, qui a laissé son nom au centre culturel et à une rue de la ville. On pense moins à sa mère Marie Le Gac-Salonne (1878 - 1974), qui méritait pourtant qu’on lui consacre une biographie digne de ce nom.
Voilà qui est fait grâce à l’universitaire Isabelle Le Boulanger, qui a consacré deux ans de recherches à cette femme hors du commun. Marie Le Gac-Salonne a été la première féministe à militer en Bretagne. « Elle a lutté seule dans l’adversité, explique
l’auteur. Elle a combattu pour les idées féministes pendant plus de 40 ans dans le désintéressement le plus total. »
On lui doit une centaine d’articles publiés dans la presse régionale ou nationale. Elle y exposait ses idées… ou elle répondait aux railleries des anti-féministes, « à une période où les journaux rafolait de ces polémiques » . Elle le fait d’abord anonymement, à partir de 1906, sous le pseudonyme qu’elle s’est choisi, Djénane : « Ce nom qui signifie, paraîtil, voilée en turc, est celui d’une des Désenchantées de Loti, écrit Marie Le Gac-Salonne. Djénane […] délivre ses soeurs orientales du préjugé du voile et de la réclusion à laquelle elles sont condamnées. »
Son enfance et sa vie privée. Marie Le Gac est née à Morlaix en 1878. Son père, Républicain de gauche, sensible à la cause féministe, y est adjoint au maire pendant douze ans. C’est lui qui inscrit Marie au collège public de filles, pour qu’elle échappe « au cléricalisme si prégnant
dans le Finistère » . C’est sans doute là l’origine de son militantisme. En 1901, elle épouse Henri Salonne, qui se destine à la profession de notaire. Un mariage de raison, sans passion. La sexualité, d’ailleurs, la rebute. Elle vit mal sa première grossesse, mais l’arrivée de Marie-Paule la comblera… En 1902, Henri Salonne achète une étude notariale à Plancoët. Le couple et le bébé y
emménagent. Dans « ce gros bourg sans ressources intel
lectuelles d’aucune sorte » , Marie s’occupe en lisant beaucoup. Elle s’ouvre aux idées nouvelles. En 1903, une deuxième fille naît, Louise.
Naissance d’une mili
tante. C’est par hasard que la jeune femme se découvre une vocation militante « un jour
de vacances de 1905 » , alors qu’elle est bloquée en gare de Grandville et tombe sur une brochure féministe. Elle nouera des relations épistolaires avec d’autres féministes, d’abord en cachette. Un article « vraiment stupide » trouvé dans
L’Union libérale de Dinan, lui fera écrire son premier droit de réponse… « Djénane » préfère alors l’anonymat pour ne pas nuire à son mari. Mais à partir de 1912, elle devient déléguée départementale de l’UFSF ( Union française pour le suffrage des femmes) et « propagande alors à visage
découvert » .
Ses idées. Marie Le Gac
Salonne est dotée « d’une énorme culture livresque et d’une intelligence hors
norme » , souligne Isabelle Le Boulanger. C’est donc avec habileté et subtilité qu’elle défend les revendications féministes de l’époque : le droit de vote bien sûr (qui n’arrivera qu’en 1944) ; l’égalité salariale (déjà !) ; la révision du Code civil, pour l’égalité des droits dans le couple - à l’époque, la femme mariée ne peut percevoir son propre son propre salaire, ni travailler sans l’autorisation de son époux - et même « l’autorité exclusive
de la mère sur les enfants » ; l’autorisation de la recherche de paternité afin d’obliger le père d’un enfant naturel à participer aux frais d’éducation ; la lutte contre l’alcoolisme « qui fait de la vie de tant de femmes un véritable martyre » , etc. Elle revendique la mixité dans l’éducation, qui doit permettre de favoriser l’entente entre les sexes et réduire les préjugés. Elle ne conteste pas la notion de virginité avant le mariage mais milite pour l’éducation sexuelle des jeunes filles. À certains égards, Marie Le Gac se révèle plus conservatrice que d’autres féministes jugées alors
« radicales » . Par exemple lorsqu’elle ne conçoit la sexualité que « dans une volonté de procréation partagée » ou qu’elle rejette le divorce. Il n’empêche qu’elle défend « une maternité consentie » et même l’avortement pour les victimes de viol… Une idée très polémique pour l’époque, même pour des féministes ! Son action locale. Marie Le Gac n’a eu de cesse de s’engager pour les autres. Dès le début de la Première Guerre Mondiale, elle participe à l’accueil des blessés à l’hôpital de Plancoët, puis devient « ordonnateur du bureau de bienfaisance » en 1916. En 1930, son limogeage, ordonné par le sous-préfet de Dinan, suscite l’incompréhension générale. Isabelle Le Boulanger évoque une possible « vengeance politique » . Toujours est-il que Marie Le Gac ne réintégrera sa place au bureau de bienfaisance qu’en 1941. Et la conservera jusqu’à l’âge de 87 ans ! A Plancoët, missionnée par le docteur Chambrin, maire, elle assure bénévolement l’organisation de la bibliothèque, s’engage dans la lutte contre la tuberculose, etc.
Sa postérité. Marie Le Gac s’est éteinte « dans la nuit du 4 décembre 1974, dans
sa 97e année » , alors que les débats sur l’interruption volontaire de grossesse venaient de s’engager à l’Assemblée Nationale… Une courte nécrologie paraît dans Ouest-France, mais avec son nom mal orthographié ( « Mme Salonné » ). « À peine a-t-elle rendu l’âme que l’oubli l’a déjà gagnée,
écrit Isabelle Le Boulanger. Aucun bâtiment public, aucune rue ne porte à ce jour son nom. » Ni à Morlaix, sa ville natale, ni à Plancoët…
« Aucune rue ne porte à ce jour son nom »