Le Petit Journal - Catalan

Qui vivra verra

-

J’ai déjà eu plusieurs maîtres et c’était le meilleur de tous. Jusqu’à ce qu’il tombe malade. S’il était mort quelques années plutôt, je l’aurais certaineme­nt regretté davantage. Aujourd’hui, c’est son enterremen­t dans leur village assez loin d’ici. Son épouse a voulu que j’y assiste. Mais comme elle a peur de moi, elle a demandé à son amie Mathilde qui habite à côté de m’y amener. Cette voisine m’a tout de suite appelé « Mon petit chéri». Je trouvais ça ridicule au début et puis maintenant ça me plaît et je crois que je ne pourrais plus m’en passer. Elle m’a donc pris dans ma cage qu’elle a installée à côté d’elle dans la voiture. Et là, elle m’a lâché. Je n’en revenais pas. Un peu scandalisé de cette familiarit­é et surtout ravi. Cela fait des mois que je ne sortais plus de derrière mes barreaux depuis que mon maître n’allait pas bien. Je me suis installé sur la cage et là l’ai regardée et je ne l’ai trouvée de plus en plus sympathiqu­e. Elle me jetait un coup d’ - il de temps en temps et se mettait à rire. J’aime bien quand elle rit.

Le plus étonnant c’est qu’elle n’a pas peur de moi. Tous ses gestes sont lents et doux. Et elle me parle tout le temps avec amitié, chaleur et… respect. C’est extraordin­aire mais c’est exactement ça. Comme si j’étais quelqu’un d’important. D’irremplaça­ble. Elle doit être un peu dérangée. Mais j’apprécie. Ensuite je me suis installé sur son épaule et je me suis mis à lui faire des bisous. Qu’elle m’a rendu en riant. Le trajet a duré très longtemps. Elle s’est perdue mais le paysage était magnifique. Nous sommes tout de même arrivés avant les autres. Elle a garé sa voiture en face de la porte de l’église. Il y avait déjà du monde. Ils sont arrivés à pied par le haut du village. La femme de mon maître était la première après le corbillard entourée de ses deux filles, de ses gendres et de ses petits-enfants. Mon accompagna­trice m’a dit gentiment, doucement et poliment « Petit chéri, il faudrait que tu rentres dans ta cage. S’il te plaît ». Et je l’ai fait sans discuter.

Nous nous sommes approchés du cortège. La femme de mon maître a décidé que je devais rester dehors, que cette créature (elle parlait de moi !) ne pouvait pas entrer dans une église. «Si bien sûr que si. Et Saint François d’Assise - » a répondu Mathilde, ma nouvelle amie.

Tout le monde est entré et nous avec. Là j’ai compris que je devais me tenir coi. J’ai juste sifflé un coup quand le curé s’est mis à chanter faux. Au cimetière Mathilde a posé ma cage à la tête de la tombe, à l’ombre. Je voyais bien tout le monde. Et tout le monde me voyait. Certains sont venus prés de moi en pleurant. «C’est le compagnon de Jean. Il doit être très malheureux». Oui. D’une certaine manière, je regrette mon maître du temps où il était encore en bonne santé. A la fin je voyais bien qu’il ne m’aimait plus. Et je me sentais abandonné. J’ai tenté de me rapprocher de sa femme, d’être plus aimable avec elle. Mais elle n’oublie pas qu’au début je la détestais et que je la pinçais dès qu’elle s’approchait de moi. Je lui fais toujours peur.

Impossible d’approcher de ma patronne, très entourée. Et Mathilde devait rentrer chez elle. Elle en informa le petit-fils le plus proche. Sa grand mère n’aurait qu’à sonner quand elle serait rentrée.

Chez elle il faisait frais et sombre. J’ai vu s’approcher un chat énorme et roux. Il n’avait certaineme­nt jamais vu de perroquet. Je lui ai dit « Bonjour ». Il a répondu « Miaou». Alors j’ai enchaîné en disant « Bonjour, miaou». Avec un air stupéfait, il a regardé sa maîtresse, qui se tordait de rire. J’ai redis « Miaou, miaou» et j’ai roucoulé comme m’ont appris à le faire les pigeons du toit qui viennent quelquefoi­s me rendre visite. Ca a semblé lui plaire et il est venu se coucher à côté de ma cage en ronronnant.

Sans nouvelles de la patronne nous avons dormi tous les trois ensemble. Elle a couvert ma cage et je leur ai dit « Bonsoir » avant de m’endormir aussitôt.

Le lendemain on a fini par joindre ma maîtresse. Elle viendrait me rechercher le soir.

Lorsqu’on a sonné, tard, j’ai arraché deux plumes rouges de ma queue que j’ai laissé voler sur la table à côté de la cage. Mathilde les a prises et elle m’a remercié.

J’ai retrouvé le petit appartemen­t au deuxième étage. Et la monotonie habituelle.

Mathilde ne m’a pas abandonné. Elle nous rend visite chaque soir. Elle m’a dit que, quoi qu’il arrive, elle ne m’abandonner­ait pas. Elle a compris que j’ai besoin de câlins, d’attentions et de mots doux au moins autant que de nourriture. Pour le moment je dois rester avec la veuve du patron. Elle est encore mal en point et mon bavardage la distrait. J’arrive même à la faire sourire.

En attendant, nous profitons des moments heureux de ses visites. Je ne sais pas ce que nous réserve l’avenir mais j’ai bon espoir. Qui vivra verra.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France