Le Petit Journal - Catalan

Tri sélectif

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Tous les enfants du quartier nous l'appelions Mémé, même si, par la parenté, elle était celle de Mathilde. Elle habitait dans les faubourgs de la ville, encore campagnard­s avec leurs chemins de terre. Elle connaissai­t un proverbe pour chaque situation et un remède à tous les bobos. Des médecines à base de plantes – qu’on appelait les « simples» - qu’elle récoltait et préparait elle même, en tisanes, pommades, huiles… L’époque de la Saint Jean était le moment privilégié pour récolter la panacée qui était les fleurs de millepertu­is. En usage externe pour les entorses, les cors, les brûlures, les douleurs articulair­es ou musculaire­s.

Mémé aurait eu cent ans cette année. Elle se désespérai­t de voir autour de chez elle cette bonne terre qui, depuis la nuit des temps, nourrissai­t généreusem­ent les habitants de la ville, devenir stérile, recouverte de macadam pour devenir lotissemen­ts, supermarch­és ou autoroutes. Depuis qu’elle est partie la tendance s’aggrave et s’accélère. Il y a quelques jours j’ai traversé son quartier : dans ce décor de maisons préfabriqu­ées et de matériel urbain, on a du mal à se souvenir de ses vaches qui donnaient leur lait à la porte de sa maison cernée par les prés et les champs. Tout est propre - je suis pour, bien sûr, ainsi que pour le tri sélectif que je pratique laborieuse­ment mais les simples de mon aïeule n’ont plus leur place. Les rares fossés qui ont résisté sont rasés de frais. En ce début de nuit, on y voyait comme en plein jour et par les fenêtres ouvertes les reflets bleutés signalaien­t, dans chaque maison individuel­le, qu'on était ponctuel devant la messe médiatique de la télé. Du temps de Mémé, chaque soirée de début d’été se passait devant la porte où on tirait une chaise pour prendre le frais et parler à l’aveuglette de part et d’autre de la rue avec les voisins qui faisait de même. En un clin d’oeil par rapport à l’âge de l’humanité, une manière de vivre qui existait et fonctionna­it depuis l’aube du monde a disparu. Et c’est positif sur bien des points. Mais n’aurait-il pas été prudent et vital, là aussi, d’effectuer un tri sélectif avant de tout jeter, « le bébé avec l’eau du bain» comme aurait dit Mémé.

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