Le Petit Journal - du Tarn-et-Garonne
L’homme des bois
Depuis toujours Peter Wohlleben a voulu consacrer sa vie à la sauvegarde de la nature. Il est devenu forestier et a passé une vingtaine d’années dans l’administration des forêts du Land de Rhénanie-palatinat. Son travail comprenait abattage d’arbres anciens et l’utilisation des pesticides. «Qu’est ce que je fais, se disait-il. Je suis en train de tout ruiner.»
«En Suisse et en Allemagne, j’ai rencontré des forestiers qui avaient un regard différent sur leur travail. Ils traitaient leur forêt avec affection, et le bois qu’il produisait était bien meilleur. J’ai vu des arbres anciens, épais dans leurs bois. Chez eux, ils avaient l’habitude de dire que s’ils désiraient acheter une voiture, ils coupaient deux arbres. Dans ma forêt, à l’époque, deux arbres m’aurait payé une pizza.»
Peter continua d’étudier. Il consulta des livres sur le comportement des arbres et découvrit finalement que ses études en Administration des forêts ne lui avait pas appris l’essentiel. Dans leur travail, les ingénieurs considèrent que plus les arbres sont espacés, plus ils captent de lumière par leur feuillage, et plus vite ils grandissent. Cette idée, qui définit les arbres comme une société d’individualisme en compétition pour la survie, est pourtant de plus en plus réfutée par les naturalistes. Ils affirment que trop d’espace entre les arbres peut les déconnecter de leur propre réseau souterrain, empêchant ainsi la formation de leurs mécanismes de défense et d’entre aide.
Il décida de remplacer les machines servant à l’abattage massif de bois par des attelages de chevaux. Ses supérieurs ne voyaient pas cela d’un bon oeil. Peter Wohlleben pensa sérieusement à démissionner lorsque finalement, en 2006, la municipalité du village où il habite mit fin au contrat la liant avec la société d’exploitation forestière et l’embaucha directement. Il put mettre enfin ses théories en application : plus de grosses machines, plus de pesticides. Il laissa aussi les bois se développer de façon naturelle. Au bout de deux ans, l’exploitation de la forêt passa de la perte au profit.
Ses observations et ses découvertes, qui promettent d’être suivies de beaucoup d’autres, ont été rassemblées dans un ouvrage «Le secret des arbres» qui se lit comme un roman. Il y enchante ses lecteurs avec des informations attestées par les biologistes depuis des années, notamment le fait que les arbres sont des êtres sociaux. Ils peuvent compter, apprendre et mémoriser, se comporter en infirmiers pour les voisins malades. Ils avertissent d’un danger en envoyant des signaux à travers un réseau de champignons appelé ironiquement «Bois Wide Web». La critique allemande a salué unanimement ce tour de force littéraire de cet ouvrage qui est resté la meilleure vente en Allemagne durant le premier semestre 2016 avec 650 000 exemplaires, et promis au même succès dans notre pays où il vient de paraître, traduit en français en dans vingt quatre autres langues.
Si on est tous conscients que les arbres sont des êtres vivants, on est loin d’imaginer à quel point ils nous ressemblent et peuvent nous donner des leçons... d’humanité. On ne les considère plus de la même façon après avoir lu ce livre.