Le Petit Journal - du Tarn-et-Garonne
Les ouvriers divisés en deux
Dans les usines et la campagne, Le Pen arrive en tête, devant Mélenchon. La voix des travailleurs pourrait être déterminante lors de second tour
A Moissac, Marine Le Pen est arrivée en tête avec 28% des voix, devant Jean-luc Mélenchon (20%) et François Fillon (19%). Chez la voisine Castelsarrasinoise, c’est toujours Marine Le Pen qui est en tête avec 32% des voix, loin devant Emmanuel Macron (20%) et Jean-luc Mélenchon (17%).
Dans la sous-préfecture le choc avait été terrible en découvrant Jean-marie Le Pen l’emporter dans cette cité ouvrière où le PC réussissait ses meilleurs scores.
Patrick n’est pas ouvrier mais tient un commerce. En 2002, il avait voté Chirac sans conviction. En 2017, il a choisi Fillon au premier tour. Il n’explicitera pas son intention pour le 2e tour. «Avec Emmanuel Macron, on va à notre perte. Avec Marine Le Pen, on ne sait pas. Et c’est peut-être préférable.»
«Ce qui a changé ? Tout! En 2002, le vote FN était contestataire. En 2017, c’est un vote d’adhésion.»
Confidences sur le zinc «Quand Hollande est arrivé en 2012, j’avais encore trois employés. Maintenant, je suis seul avec une employée. Je prends cinq semaines de vacances, parce que si je travaille plus, on me prend tout en taxes et en impôts. Ce pays a vraiment un problème avec le travail».
Réduction des effectifs et chômage endémique expliquent la morosité ambiante. Ici, on se sent encore de tradition industrielle…
Fabien (51 ans) prend par à la conversation : «J’ai voté pour le «Le Pen de gauche»: Jean-luc Mélenchon. Au deuxième tour, je m’abstiens», explique-t-il. «Je suis un déçu de Hollande… J’ai fait les calculs, j’ai quasi le même salaire qu’en 2001. Le coût de la vie a changé, pas les salaires.»
Le monde ouvrier coupé en trois. Des femmes et des hommes qui se côtoient mais ne se parlent pas vraiment. Les frontistes d’un côté et les mélenchonistes de l’autre… et puis le reste de moins en moins nombreux.
«Ce qui m’étonne, c’est que beaucoup de jeunes votent FN et y croient. Il y a une part de protectionnisme, mais encore plus fort l’idée que nos problèmes viennent de Bruxelles. Ils ont cette illusion que Marine Le Pen pourra dicter ses conditions à l’europe comme le ferait Angela Merkel», analyse Fabien, qui conclut: «C’est aussi une demande d’autorité!»
Chut… je vote Macron plaisante Christian «En quinze ans, tout s’est aggravé. Les gens ont peur des deux côtés. Et les discours des politiciens n’arrangent rien. Ils sont déconnectés. J’ai voté Mélenchon, c’est le plus proche de nous. Marine Le Pen me fait peur. J’aurais voté Fillon, j’irai voter Macron. Pour faire barrage et à cause des gamins», explique-t-il. « Mes enfants travaillent bien. Et tous votent Macron. Le droit à la réussite pour tous, ça leur parle.»
Protéger notre France!
Les fractures du vote ouvrier se dessinent comme une évidence. Mais il faut se rendre sur le parking des usines pour que le vote FN soit verbalisé. Karine (41 ans) a du Marine dans le coeur. «J’ai voté FN. Je ne m’en cache pas. Vous pensez peutêtre que je suis une facho, moi je veux simplement protéger notre France», glisse-telle.
Intérimaire pendant quinze mois, elle vient d’être embauchée au début du mois. «Entre nous, les regards se sont durcis. Ça leur a fichu un coup, aux étrangers, de voir Marine aussi haut. Mais c’est normal, avec toute cette immigration, le terrorisme. On a peur pour nous, pour nos enfants!» expliquet- elle avant de filer.
«Pourquoi pas voter FN au deuxième tour? Macron sûrement pas. Je me suis abstenu au premier. Il faudrait peut-être un électrochoc», se demande Eric.
«Quand je suis entré il y avait le respect des anciens. Tout a changé. Trop d’intérims… Ça va, ça vient. Des grèves comme celles du passé, c’est inimaginable de nos jours», raconte Eric. Lui part à la retraite dans quelques mois après quarante ans d’usine. Mais il se dit préoccupé par les jeunes.
Un délégué CGT explique avoir voté Nathalie Arthaud au premier tour et votera blanc au second. «L’anticapitalisme ou l’abstention, c’est la seule solution!» Ça claque comme un slogan.
Le combat syndical portet-il encore dans ce contexte de montée du FN? «Marine Le Pen: la grande arnaque sociale (…) Le Pen est notre ennemie. Et Macron n’est pas notre ami. Mais quand Marine Le Pen va voir les ouvriers de Whirlpool à Amiens, elle les dupe. Elle essaie de tromper les gens, comme Trump l’a fait aux Etats-unis. Avec la CGT, on organise toutes les bagarres. Notre problème est qu’on n’a pas eu de lutte victorieuse massive depuis un moment», analyse le syndicaliste. «Les idées du Fn, c’est de la saloperie qui nous divise et qui érige des frontières entre les travailleurs. Ça ne profite qu’aux patrons», tonne-t-il.
Il dénonce l’apathie républicaine qui contraste avec la mobilisation anti-fn de 2002. Mais quel que soit le vainqueur de dimanche, il promet un «troisième tour social de la présidentielle: pour faire entendre les intérêts des travailleurs». Au printemps 2016, la CGT a bloqué Paris lors de quatorze journées de contestation sociale. Le futur président est prévenu.