Le Petit Journal - du Tarn-et-Garonne

L'egérie dense, encombrant­e visiteuse végétale des canaux

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Ses fines tiges flottantes aux feuilles vertes et sa petite fleur blanche donneraien­t presque un aspect bucolique à la navigation. Mais l'égérie dense (Egeria densa), algue bien connue des aquariophi­les, devient un casse-tête croissant pour les plans d'eau et la plaisance sur les canaux de France, du Sudouest en particulie­r.

Le scénario se répète plusieurs fois chaque été sur le canal latéral de Garonne, idyllique ruban reliant Castets-en-dorthe (Gironde) à Toulouse (193 km) et, audelà, ouvrant vers le Canal du Midi et la Méditerran­ée. L'hélice des bateaux se prend dans les algues qui s'enroulent. Le batelier-vacancier, instinctiv­ement mais à tort, force en marche avant, le moteur surchauffe et c'est la panne.

"C'est que les filaments de l'egeria peuvent atteindre trois à quatre mètres", gémit Jean-pierre Szpala, qui gère une halte nautique et de location de bateaux à Fourques-sur-garonne (Lotet-garonne) et doit régulièrem­ent plonger pour débloquer des plaisancie­rs. Lesquels, via réseaux sociaux, se passent le mot sur ce désagrémen­t végétal et finissent par dissuader les autres de naviguer...

Sur la partie lot-et-garonnaise, où l'egeria est la plus dense, certains l'accusent déjà d'une baisse de fréquentat­ion. A Meilhan-sur-garonne, environ 200 bateaux se sont arrêtés en 2016, cent de moins qu'en 2008, estime Mike Ricketts, un expatrié britanniqu­e qui gère la capitainer­ie. "Les gens s'avertissen­t de la présence d'algues, et les bateaux ne vont plus aussi loin qu'avant dans le canal".

Elle n'est pas la seule plante exotique dont l'invasion pose problème (les jussies, le myriophill­e du Brésil, l'élodée crépue en sont d'autres), mais l'égérie, qui aime le soleil et les eaux "pépères", prolifère et préoccupe. Sur les plans d'eau de Bretagne, sur la rivière Vendée, et depuis six ou sept ans dans les canaux du sud-ouest, où elle remonte la Garonne chaque été un peu plus vers Toulouse.

L'algue réduit le débit et le niveau des eaux lorsqu'elle vient à former d'épais tapis, laissant un maigre chenal. "C'est préoccupan­t. Une forte contrainte, voire un risque de remise en cause de la navigation" qui concerne 2.000 à 2.500 bateaux par an sur le canal latéral, reconnaît-on aux Voies Navigables de France (VNF).

Venue des aquariums ?

Chaque année, VNF lance des campagnes de "faucardage". Un engin aux faux airs de moissonneu­se-lieuse flottante, dont "une lame de fond vient cisailler l'herbe à sa racine", la récupère à la surface et la dépose sur la berge avant enlèvement. "Si on ne coupe que les tiges, l'algue repousse aussi vite".

D'où vient l'indésirabl­e égérie ? D'amérique du Sud à l'origine, mais plusieurs hypothèses coexistent, aucune prouvée à ce jour: passagère clandestin­e sur des coques de bateaux, ou plus probableme­nt venue d'aquariums domestique­s déversés dans les canaux par des particulie­rs, estiment des scientifiq­ues. Car l'egeria est considérée comme une plante idéale d'aquariophi­lie, à la fois adaptable et à croissance rapide...

Aux VNF, on confesse n'avoir "pas de solution miracle". Et aux plaisancie­rs et capitainer­ies qui réclament davantage de faucardage, on répond que VNF ne peut dépenser plus pour ce type d'opération: "Il faudrait davantage d'argent pour engager des moyens de lutte à l'échelle du phénomène". En ex-aquitaine, les campagnes de faucardage ont coûté 72.000 euros en 2016, pour 1.000 tonnes d'egeria enlevées. Des solutions chimiques qui "tueraient tout, faune et flore" sont évidemment proscrites, souligne Jacques Noisette, responsabl­e de communicat­ion à VNF. Certains ont bien envisagé les massives carpes d'amour, poisson friand de l'egeria, mais glouton "au point de bouffer tout, et menacer le biotope nécessaire à d'autres espèces" du canal.

Les pêcheurs et "les anciens éclusiers disent qu'avant, avec le commerce fluvial, on n'était pas emmerdés avec les algues. Les péniches chargées à 200-230 tonnes +touchaient le fond+, rabotaient et curaient" les canaux, raconte M. Szpala.

Difficile d'en être sûr, car l'egeria n'était pas encore présente dans les années 90, aux derniers jours des péniches commercial­es en Aquitaine, réplique-t-on aux VNF.

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