Le Petit Journal - du Tarn-et-Garonne

Beaulieu : hommage à Geneviève Bonnefoi

-

Il est des coups de coeur que l’on ne saurait expliquer: l’abbaye cistercien­ne de Beaulieu, à Ginals, en est un. C’est le choc de la majesté de la pierre qui surgit au détour d’un chemin, le sentiment de se retrouver «entre ciel et terre» pour reprendre l’expression qui a servi de titre à l’exposition en 1979 des oeuvres de l’artiste suédois Bengt Olson.

De ce coup de coeur en 1959, Geneviève Bonnefoi et Pierre Brache ont fait surgir la renaissanc­e de Beaulieu, en restaurant l’édifice. Cette renaissanc­e fut celle de la pierre, elle fut aussi celle de la création qui consista à mêler le destin cistercien à la vitalité de l’art moderne. Pour Geneviève Bonnefoi, il s’agissait de «redonner à Beaulieu une destinatio­n culturelle et collective». C’est ainsi que Beaulieu accueillit chaque année un artiste contempora­in, lui offrant la possibilit­é d’inscrire son art à la magie de l’abbaye et permettant aux Tarn-et-garonnais de découvrir, de s’initier, de s’interroger sur la création au Xxème siècle, parfois avec circonspec­tion. Dubuffet, Karskaya, Michaux, Hantaï, Georges, Viseux, Olson, Saignes, Mir, Duchein, Cadilhac… s’y installère­nt pour notre plus grand bonheur, chaque fois accompagné­s d’un texte de Geneviève Bonnefoi qui nous donnait des clefs pour en percer les mystères.

Pendant plus de 50 ans, au début avec Pierre Brache, elle a oeuvré pour Beaulieu. «Une collection qui n’a rien de délibéré, ni de spéculatif, n’est pas toujours de tout repos», écrit- elle dans l’édito du recueil publié par les monuments nationaux. «En vivant pendant 50 ans dans la familiarit­é quotidienn­e de certains tableaux aujourd’hui «hors de prix», j’ai pu constater, en effet, qu’ils restaient imperturba­bles et toujours semblables à euxmêmes, quelles que soient les variations de leur cote».

A l’heure où j’écris ce mot, à l’heure de la mort de Madame Bonnefoi, l’etat n’a pas toujours pas tenu ses engagement­s. En effet, Pierre Brache et Geneviève Bonnefoi ont légué à l’etat l’abbaye de Beaulieu en 1973, une abbaye complèteme­nt restaurée. Ils ont ensuite donné, toujours à l’etat, leur collection de tableaux d’art moderne et contempora­in, avec comme condition que soit réalisé à Beaulieu un musée d’art moderne. Cette condition n’a toujours pas été honorée, malgré son côté contractue­l.

Ainsi, Geneviève Bonnefoi n’aura pas vu de son vivant la réalisatio­n du musée qu’elle appelait de ses v?ux, elle aura attendu en vain pendant près de 40 ans, que l’état remplisse les engagement­s pour lesquels il est pourtant juridiquem­ent contraint. Voici ce qu’elle disait de la nécessité de ce musée : «se donner les moyens de forger une vraie mémoire pour ceux qui viendront après nous, prendre le recul nécessaire à tout jugement sur ce qui s’est passé, tenter de laisser à l’avenir la possibilit­é de découvrir sereinemen­t le langage et l’art d’une époque qu’il n’aura pas connue, voilà notre propos. Et voilà pourquoi le musée est irremplaça­ble – à condition de ne pas être entre les mains d’intégriste­s d’une seule tendance». Elle ajoutait encore : «C’est ce que j’ai tenté de faire à Beaulieu et que j’espère voir se concrétise­r par la naissance d’un vrai Musée».

Grâce à la mobilisati­on de nombreux acteurs de notre territoire, Christian Maffre (président du Pays Midiquercy), Madame Cécile Lafon (maire de Ginals), Madame Jihan Ghiati-chardon (chef de projet culture au Pays Midi-quercy), Madame Geneviève André-acquier (l’amie de toujours de Madame Bonnefoi), les Préfets Géraud et Besnard, les sous-préfets Delvert, Valat et Moulard, l’associatio­n associatio­n culturelle de l’abbaye de Beaulieu en Rouergue, un comité de pilotage a été créé en 2014 avec le Centre des Monuments Nationaux (CMN) pour qu’enfin soit lancée la création du Musée d’art moderne qui permettra à chacune et chacun de découvrir les joyaux de la collection. Par ailleurs, la nomination d’un nouvel administra­teur pour Beaulieu, décidée par Monsieur Philippe Belaval, président du CMN, nous laisse l’espoir que la réalisatio­n de ce musée puisse se concrétise­r comme le souhaitait Geneviève Bonnefoi.

«Aurions-nous la sottise de croire que notre époque échappera au Temps ? Que le règne de l’éphémère, si à la mode, sera sa seule forme d’expression et que d’elle il ne restera rien que quelques photos jaunies ou quelques bandes vidéo vite retournées au néant ? Laissons les morts vivants s’enterrer eux-mêmes mais veillons à conserver pour les génération­s futures ce qui les éveillera et qui leur parlera, comme aujourd’hui nous parlent, après les plus anciens Van Gogh et Monet».

Pour nous, Madame Bonnefoi restera à jamais l’âme contempora­ine de Beaulieu.

Newspapers in French

Newspapers from France