Le vieil homme et la mer

En ces temps troublés, où la moindre info est abordée par sa face la plus négative, je voudrais revenir sur un événement plus réjouissant qui a fait brièvement la Une en son temps. Je veux parler de la dernière Route du Rhum, dont vous vous souvenez sans doute ? Au temps de la marine à voile, les vieux loups de mer en remontraient aux moussaillons. Sans eux, les gamins se perdaient dans les brisants, erraient dans les quarantièmes rugissants, se cognaient aux hurlants du cap Horn. Quand vint le temps de la course hautière, ils s’imposèrent, avec le sens du vent. A l’heure de larguer les amarres, ils embarquaient les bambins les plus motivés pour les former. Et puis, Tabarly est tombé à l’eau et Kersauson s’est échoué aux Grosses Têtes. Les vieux Loups sont passés de mode, les jeunots les ont bouffés. Depuis quelques années, ils ne laissent rien aux anciens, avec leur envie de voler qui a fait pousser des foils à leurs bateaux. François Gabart, à 30 ans, a explosé le record du Vendée Globe, avant de battre celui du tour du monde en solitaire. Franck Camas, au même âge, avait battu le record du monde en équipage. Tous ont des gueules d’ange . Ils ont été surnommés « petits princes » par une presse en manque d’imagination. Tous ont une formation d’ingénieur et des diplômes à en pleuvoir. Les vieux Loups étaient largués ! Mais, voilà, le vent tourne… Gabart, promis à la victoire sur la dernière Route du rhum, s’est fait battre à 35 ans par Francis Joyon 62 printemps. De sept minutes et huit secondes, après une semaine de mer. Un vieux de la vieille qui en était à son septième Rhum, vingt huit ans après sa première participation ! Un bel exemple de ténacité. Joyon avait choisi un vieux bateau, certes deux fois vainqueur, mais, de douze ans d’âge, ce qui dans ce domaine hyper high-tech est une éternité. Le sexa a oublié un peu son âge pour l’emporter. Les vieux Loups ont de la ressource : ils peuvent encore en apprendre aux petits génies ! Ce n’est pas une histoire de conflit de génération, mais une saine émulation. La Mer n’a pas d’âge, elle a simplement des rides. Cette histoire me fait dire qu’en cette période sombre où l’horizon se limite aux bordures de ronds-points et aux murs des salles de débat , pour ouvrir de nouveaux horizons, il ne s’agit pas de mettre gilets aux vents mais de fixer un cap…