Le Petit Journal - du Tarn-et-Garonne

Nier l’autre

- Alain Paga

Mathilde pensait vivre paisibleme­nt dans une agréable petite ville sans histoire du Sudouest. Si son quotidien pouvait parfois lui paraître un peu monotone, elle y remédiait en se mettant au service des autres, comme bénévole dans plusieurs associatio­ns. Bien que ses revenus soient bien en dessous du seuil de pauvreté, ses goûts très simples lui permettaie­nt de ne pas en souffrir. Elle n’aurait jamais pensé auparavant qu’il pouvait être dangereux de faire la queue dans une administra­tion. C’est arrivé la semaine dernière. A trois heures de l’après midi la porte était fermée et le rideau de fer baissé. Une affichette expliquait : «Une incivilité grave s’est produite dans ce bureau. Des employés et des clients ont été agressés. Ce bureau sera fermé aujourd’hui. Merci de votre compréhens­ion».

Le lendemain à la même heure, Mathilde prenait son tour dans une fille d’attente déjà longue. Elle était derrière une magnifique femme noire qui lui rappela son amie d’origine congolaise, en France depuis bientôt quarante ans, qu’elle n’avait pas vue depuis trop longtemps et dont la bonne humeur lui manquait. C’est alors que, sans l’avoir voulu, elle entendit celle qui la précédait parler au téléphone. «J’en ai marre de ce racisme ! Il y a une vieille derrière moi qui essaie de me piquer la place. (Mathilde mit un bon moment à comprendre qu’il s’agissait d’elle). Si elle continue je vais lui en mettre une. Je l’attendrai à la sortie pour lui faire sa fête». Après avoir pensé lui parler afin de la détromper, Mathilde a préféré s’abstenir et éviter de croiser les regards furibonds et menaçants qui lui étaient jetés. En plus d’être vieille, on allait penser qu’elle était sourde ! D’abord choquée, Mathilde a imaginé sans peine les insultes et les vexations essuyées par cette jeune femme pour en arriver là.

C’est vrai que notre quotidien nous fait rencontrer de plus en plus de personnes en colère, très centrées sur elles-mêmes et sans aucune tolérance envers les autres. Ce qui s’illustra quelques minutes plus tard lorsque arriva le tour de Mathilde. L’ordinateur de l’employée du guichet refusa alors de fonctionne­r. Cela dura plus de dix minutes et quelqu’un dans la fille d’attente cria : «Virez-la, celle-là. Les vieux n’ont qu’à venir en dehors des heures d’affluence. On n’a pas que ça à faire. Nous, on travaille !» Et, miraculeus­ement, la machine se remit à fonctionne­r.

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