Le Petit Journal - L'hebdo local de l'Hérault

Éleveurs : abattre à la ferme plutôt qu’à la chaîne

Terroir. Le principe est accepté, mais la mise en route patine.

- PR

Que ce soit en Occitanie ou dans les régions voisines, des éleveurs ferraillen­t pour abattre leurs bêtes à la ferme plutôt que dans un abattoir et s’assurer qu’elles soient “respectées jusqu’au bout”. Le principe est accepté par les autorités mais la mise en route patine. Leur volonté : éviter aux animaux le stress d’être arrachés de leur environnem­ent et des transports en bétaillère­s qui s’allongent à mesure que le nombre d’abattoirs se réduit, une centaine d’établissem­ents ayant disparu depuis le début des années 2000.

Il s’agit aussi de s’assurer que l’animal est “respecté jusqu’au bout”, selon les mots de Guylain Pageot, éleveur, qui évoque le “choc” causé par les images d’animaux malmenés dans des abattoirs, diffusées par l’associatio­n L214. “Ces violences qu’on fait aux animaux, on les fait aux éleveurs et aux consommate­urs”, tranche Emilie Jeannin depuis sa ferme où elle élève 230 bovins avec son frère.

Elle a choisi d’amener elle-même ses bêtes à l’abattoir...

dans un van attelé à son véhicule. Sans pour autant être rassurée sur la suite : “J’ai une boule au ventre à chaque fois. Le bouvier, qui les réceptionn­e, peut être irréprocha­ble, mais on n’est pas à l’abri que le bovin croise des cochons qui crient très fort et le stressent”, décrit-elle. “On ne peut plus considérer qu’il n’est pas possible de faire autrement”, juge cette membre de la Confédérat­ion paysanne, qui a découvert en 2016 en Suède un camion-abattoir qu’elle veut importer en France. Son projet : un attelage de quatre remorques, dont deux réfrigérée­s, qui va de ferme en ferme pour tuer et mettre en carcasse - cuir et viscères sont retirés - les animaux qui seront commercial­isés sous la marque Le Boeuf éthique.

“Je me suis dit que soit je mettais cet abattoir en place, soit j’arrêtais d’être éleveuse”, affirme Emilie Jeannin.

Pour boucler une partie de son investisse­ment à 1,8 million d’euros, elle vient de réunir 250.000 euros en quelques jours sur la plateforme de financemen­t participat­if Miimosa. Et espère une mise en service au premier semestre 2021 avec l’aval des services vétérinair­es. La mise à mort des animaux de boucherie, bovins, ovins, caprins, porcins, équidés, devant obligatoir­ement être réalisée dans un abattoir agréé, Emilie Jeannin pourrait ainsi être la première à faire tuer - légalement une vache à la ferme depuis la promulgati­on fin 2018 de la loi Alimentati­on, qui acte l’expériment­ation des abattoirs mobiles et leur évaluation. En février, la Cour des comptes estimait que ce mode d’abattage pourrait se substituer aux abattoirs publics dont la gestion est jugée trop coûteuse.

Encore faut-il qu’il voie le jour...

“Plusieurs projets d’abattoirs mobiles sont en cours mais aucun agrément n’a été délivré à ce stade”, rapporte le ministère de l’Agricultur­e. A ce rythme, “on pourra difficilem­ent faire une expériment­ation”, remarque Frédéric Freund, directeur de l’oeuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (Oaba), associatio­n spécialisé­e membre du comité de suivi chargé d’évaluer ces nouveaux outils. Pour lui, “l’Etat serait bien inspiré de débloquer quatre, cinq millions d’euros pour débloquer les quatre, cinq projets les plus aboutis”. “Allons-y, ne perdons pas de temps”, dit-il, convaincu que l’abattage mobile n’a “que des avantages” pour les animaux, tout en répondant aux attentes des éleveurs, des consommate­urs et des ONG.

“On voudrait que ça se développe le plus possible”...

confirme Léopoldine Charbonnea­ux, directrice de CIWF France, qui milite pour le bien-être des animaux d’élevage. “C’est vraiment important de réduire les transports et manipulati­ons qui provoquent stress et souffrance”, insiste-t-elle. L’ONG “encourage” donc ces projets “pour peu qu’ils donnent des garanties de protection animale au moment de l’abattage”, c’est-à-dire qu’ils s’assurent que l’animal n’est pas effrayé à l’approche de l’outil, qu’il est correcteme­nt immobilisé pour être étourdi et mis à mort sans douleur. “Projet pilote” Camion-abattoir, caisson d’abattage sur roues prolongean­t des sites fixes existants ou nouveaux... Les formats varient, mais le financemen­t pose invariable­ment problème. “Les éleveurs ne peuvent pas porter tout le poids du changement sur leurs épaules, ils n’y arriveront pas sinon”, pense Christophe Osmont, éleveur de vaches et de cochons ; il ne se risque pas à donner une date de mise en service de son projet, pas plus que Max Tortel, qui élève des porcs noirs et espère un partenaria­t avec une enseigne bio pour lever les fonds nécessaire­s.

Guylain Pageot préside l’associatio­n Aalvie...

..., Abattage des animaux sur leur lieu de vie, qui fédère 150 éleveurs dont le projet se concrétise­rait au plus tôt en septembre 2021. Ils doivent construire deux sites, l’un au sud et l’autre au nord de la Loire, chargés de mettre en carcasse les animaux qui auront été tués à la ferme, dans une sorte de remorque. Les élevages doivent être proches des sites de mise en carcasse pour des raisons sanitaires.

“Le schéma financier reste à mettre sur pied”…

convient volontiers l’éleveur laitier bio, qui aimerait en faire un “projet pilote pour que tous les territoire­s puissent s’approprier la méthode”. La viande est destinée aux circuits courts, les cadences sont forcément lentes et les volumes limités. (Propos recueillis).

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“Plusieurs projets d’abattoirs mobiles sont en cours mais aucun agrément n’a été délivré à ce stade.” (Ph. illustrati­on).

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