Le Petit Journal - L'hebdo local du Lot

12 ans de prison pour un “geste d’amour librement consenti”

Affaire Yves Lenfant

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Que s’est il réellement passé à St Marguerite le 30 décembre 2012 à 2H du matin? Les 6 jurés auront la charge difficile durant 2 jours d’approcher au plus près de la vérité. Celle de l’accusé qui prétend avoir tué par amour, parce qu’ils avaient signé un pacte, celle des témoins, des spécialist­es et autres experts qui montrent des parts d’ombre ? Un drame humain dans lequel Sylvie Rousseau a perdu la vie, 36h après avoir reçu 2 balles dans la nuque. Lui est toujours en vie malgré les 2 balles qu’il s’est tiré dans la tête. Il va appeler le Samu à 2 reprises, il sera soigné, interné à Leyme pour sa propre sécurité puis envoyé en prison à Agen où il est depuis 2 ans. A la barre, il raconte une enfance difficile, un père militaire toujours absent, la mort de la mère son repère. A 17 ans il est troubadour, marginal, dans la rue avec sa guitare.

La rencontre avec Sylvie, un couple fusionnel !

Il va rencontrer Sylvie Rousseau début 80. Il est alors VRP payé à la commission. Ce seront les belles années. Ils partent ensemble le lundi matin, rentrent chez eux le vendredi soir avec l’accord de la société. Ils vont tout faire ensemble : rencontrer les clients dans la journée et séjourner dans les plus beaux hôtels-restaurant­s toute la semaine, rien n’était trop beau pour elle ! En 2004, il a 56 ans, il est mis en préretrait­e et les choses vont se dégrader. Sans travail, ils vendent leur belle propriété et s’installent à Laroque des Arcs. Un « couple fusionnel » diront les témoins : une soeur de Sylvie et son mari, une relation amicale dira « ils s’adoraient », un retraité de Gourdon, des amis viendront à la barre parler d’un « couple très amoureux ». Un des enfants d’une première compagne viendra dire qu’il est là aujourd’hui droit et fier grâce à Yves Lenfant qui l’a élevé. Ce “beau-fils” a rencontré Sylvie « ils étaient amoureux, pour moi c’est un acte d’amour, il faut beaucoup de courage pour donner la mort à une femme aimée pour la soulager ».

L’addiction aux jeux « Des jeux en ligne, des échanges sur martingale, des demandes de prêt à des banques ou a des privés » trouvés par l’expert informatiq­ue… des passages nombreux, jusqu’au soir du drame, dans les casinos à Alvignac , à Toulouse, à Salies du Salat, à Pau … des sommes faramineus­es perdues qui engendraie­nt des dettes de plus en plus importante­s . Alors il empruntait, il était « beau parleur »… il se présentait « comme guérisseur axé sur le Christ » il profitait de la naïveté de personnes faibles diront des témoins. Certains, en pleine dépression à l’époque, se disent à la barre comme « envoutés » jusqu’à lui donner un héritage de 500 000 euros ! Que dire de l’arme ? Un expert en balistique viendra expliquer que c’est une arme de collection qui date de 1863 et les cartouches sont des balles de fête foraine ! « Je l’ai achetée dans une brocante » dira l’accusé. Le médecin légiste du CHU de Rangueil viendra expliquer les diverses trajectoir­es des balles sur un crane afin que les choses sont plus claires. Yves Lenfant ne regardera pas, il pleure la tête entre les mains.

Et que dire de la maladie de sa femme ?

L’accusé invoque une vaccinatio­n contre l’hépatite B en 1990, “sa santé va se dégrader, elle va souffrir de tremblemen­ts”, ils craignent une sclérose en plaques. Or rien ne vient prouver la présence d’une maladie invalidant­e ou dégénérati­ve, ni Parkinson ni Sclérose diront les trois médecins cités à la barre, rien à l’autopsie, et aucune recherche sur ces maladies sur l’ordinateur du couple. Elle disait « qu’elle ne voulait pas vieillir, tomber dans la déchéance, c’était une très belle femme » répète Yves Lenfant.

Les éclairages des deux psychiatre­s

Le Dr Jacques Olivier rencontre Yves Lenfant le 6 janvier 2013 à Leyme où il est hospitalis­é sous contrainte. Il tient « des propos logiques et cohérents, mais il aime diriger nos débats, il ne fallait pas être directif avec lui, il répète son argumentai­re : est ce pour se convaincre ? Il n’abordera pas les problèmes d’argent mais parlera de sa théorie de martingale, qu’il ne joue pas pour le jeu mais pour la passion des chiffres … on a là des éléments de revendicat­ion narcissiqu­e, d’un orgueil surdimensi­onné ». Pour le Dr Olivier il présente “des traits de type parano, il surcompens­e par rapport à des événements qui l’ont entravé, il y a altération du discerneme­nt, il n’existe qu’à travers le prisme de sa réalité, il trie tout ce qui ne rentre pas dans sa logique, c’est une auto satisfacti­on qui fait du bien. Quand Sylvie lui a dit : « je n’en peux plus » comment le reçoit il ? C’est une blessure narcissiqu­e, il ne contrôle plus la situation et c’est insupporta­ble pour son image de soi”.

Le Dr Fabien Aubat a rencontré l’accusé beaucoup plus tard, une fois le temps de l’émotion passé. Il rappelle « le lien très fusionnel qui le liait à une mère polonaise qui lui interdisai­t tout échange avec l’extérieur ». Il a construit « une logique abandonniq­ue, un écart considérab­le entre son intellectu­alisme et ses piètres acquis de base c’est creusé… c’est un frustré de l’éducation ». Sa rencontre avec Sylvie est « un agrippemen­t, c’est une autre mère ». C’est”une relation en miroir… dans un souci narcissiqu­e, ils font ce pacte de suicide mutuel… on ne va pas céder à la décrépitud­e, la maladie (supposée) fait obstacle à la relation idyllique”. « Pour moi » conclue le psychiatre « il n’y a pas de maladie mentale, il a la pleine responsabi­lité des ses actes et il n’y a pas d’altération du jugement. L’intention suicidaire est affirmée mais la Vérité est dans la complexité ».

Interventi­on sensible de Laurence Rousseau, une des soeurs de Sylvie

« Je me suis portée Partie Civile pour savoir ce qui c’était passé… sa mort a provoqué un éclatement familial, des dissension­s mais surtout un énorme chagrin… je savais qu’ils avaient de graves difficulté­s financière­s mais elle ne m’a jamais dit qu’elle était malade ».

Me Adeline Nesliat-Delhaye, conseil de la Partie Civile reprendra les propos de Laurence. « Elle veut savoir la vérité, que s’est il passé cette nuit là ? Sa soeur était la plus belle, la plus rayonnante… le couple fusionnel n’est pas une explicatio­n suffisante… c’était un couple asymétriqu­e, agrippé, en vase clos. Yves Lenfant aime maitriser les choses, avait elle gardé son libre arbitre quand elle signe ce pacte ? un pacte écrit par lui ! Il n’y a aucun élément probant quant à sa maladie, il était acculé, plus d’argent, des dettes énormes… ils allaient être expulsés de l’appartemen­t dont il ne payait plus le loyer …il l’a privée de longues années à vivre et de l’affection des siens».

L’Avocat Général Nicolas Septe « garde un goût amer dans la bouche, des réponses esquissées, un écran de fumée devant des questions précises, ma conviction est faite, il a une part indéniable de responsabi­lités : son addiction aux jeux, un comporteme­nt pathologiq­ue dans ce couple dit fusionnel, un pacte qu’il invoque mais qu’il a trahi, et une maladie que rien ne vient infirmer. Il y a aussi ce courriel qu’il envoie à son neveu le 22 décembre : « …que des déceptions…les épreuves que nous traversons… nous n’aurons bientôt plus de toit…je baisse les bras, à mon âge je n’aurai plus rien … »cette situation lui renvoie une image insupporta­ble pour lui, la seule issue est d’en finir, c’est un assassinat, un meurtre avec préméditat­ion, je demande une juste peine : 12 ans.

« Une tragédie grecque ». Me Henri Touboul, conseil de l’accusé, le suit depuis bientôt 3 ans. « Ce n’est pas une histoire du café du commerce, c’est une tragédie grecque… une histoire d’amour qui ne peut pas se finir autrement, vous jugez un mort vivant, il le dit « je suis anéanti, ma plus grande défaite est d’être là ». « Vous avez à juger si le pacte était librement consenti, lui a t il forcé la main… Sylvie avait du caractère, tous les témoins l’ont dit… il a perdu sa raison essentiell­e de vivre ».

« Ils se sont kiffés au delà de tout »

Me Laurent Boguet, conseil de l’accusé : « … devons nous analyser les mobiles du couple avec notre morale, notre religion, notre conception du libre arbitre… oui, ils n’avaient pas d’économie, oui, elle adhérait à ce choix de vie… coquette, elle avait la conviction de ne pas finir dans un hospice… alors ce soir de décembre où il fait un malaise cardiaque et où elle se rend compte qu’elle ne peut rien pour lui , c’est décidé… ils convoquent thanatos… mais l’aléa c’est joué de lui , lui qui voulait maitriser le hasard » !

Après plus de 3h de délibérati­on, le Tribunal l’a déclaré coupable d’avoir volontaire­ment donné la mort à Sylvie Rousseau, avec préméditat­ion, sans altération de son discerneme­nt, et l’a condamné à 12 ans de prison. Yves Lenfant et ses avocats ont 10 jours pour faire appel.

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Me Touboul et Me Boguet avec l’accusé Yves Lenfant
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Me Adeline Nesliat-Delhaye, conseil de la Partie Civile

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