Le Point

Sarkozy : 1,5 atout et 7 handicaps

L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert

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C’est une histoire édifiante que l’on racontera encore longtemps aux enfants des écoles : tant qu’il n’est pas encloué dans son cercueil et enfoui sous plusieurs pelletées de terre, un homme politique n’est jamais mort. La preuve, Alain Juppé. Qu’est-ce qui pourra empêcher M. Juppé de devenir le prochain président de la République ? Si l’on en juge par le dernier baromètre IfopJDD (voir Le Journal du dimanche du14 juin), où le maire de Bordeaux sème désormais M. Sarkozy dans l’électorat de la droite et du centre à 42 contre 33 %, la question n’est pas incongrue. Les Français adorent les chevaux de retour quand, tels Mitterrand ou Chirac, ils en ont beaucoup bavé et sont couturés de partout. Nicolas Sarkozy, qui connaît la musique, a beau exhiber ses prétendus stigmates avec des airs christique­s, ça ne marche pas. Quand l’ancien président croit traverser un désert, ce n’est jamais qu’un bac à sable. Et quand il se plaint des coups reçus, ce sont toujours ceux qu’il a donnés. En passe de devenir le grand favori de la présidenti­elle de 2017, Alain Juppé aura été, lui, bien massacré par la justice et l’opinion avant de devenir une incarnatio­n vivante de l’adage nietzschée­n « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ».

Certes, rien n’est encore joué : M. Sarkozy peut toujours se ressaisir, M. Fillon revenir, ou une nouvelle personnali­té surgir, mais, en attendant, M. Juppé ne cesse de marquer des points avec une tranquille insolence, tandis que le président des Républicai­ns se mange les sangs. Au train où vont les choses, s’il continue de perdre son peps, on pourra bientôt voir à travers. Ne peut-il compter que sur un atout et demi, pas plus, alors qu’il est lesté, ces temps-ci, par beaucoup de handicaps ? Le parti, voilà bien le grand atout de M. Sarkozy aujourd’hui : avec une main de fer dans un gant de velours, il verrouille l’appareil des Républicai­ns et tentera, c’est écrit, de limiter le plus possible le nombre des votants dans la primaire afin que sa claque de militants fanatisés continue de maîtriser le jeu. Une tactique périlleuse : en entamant sa légitimité de candidat de la droite et du centre, elle se retournera­it fatalement contre lui lors de la présidenti­elle.

Le charisme d’antan de l’ancien président n’est plus qu’un souvenir, disons une moitié d’atout : force est de constater que M. Sarkozy ne l’a pas vraiment retrouvé. Pour l’heure, il fait penser à ces vieux chanteurs yéyé qui font leur énième tournée d’adieux en reprenant leurs airs d’antan sans y mettre du coeur. Il serait temps qu’il se reprenne. D’autant que ses handicaps sont au moins au nombre de sept. Récapitulo­ns. 1. Le boulet des copains et des coquins : Isabelle et Patrick Balkany, ses deux meilleurs amis, sont aux prises avec la justice, tout comme Claude Guéant, son homme de confiance. Il ne suffit pas de crier au complot, comme ils le font tous, pour nous convaincre de leur innocence. Nicolas Sarkozy n’a jamais su faire preuve, pour rester gentil, de beaucoup de jugeote dans le choix de ses proches et de ses collaborat­eurs. 2. Un mélange de légèreté brouillonn­e et d’improvisat­ion péremptoir­e comme quand, en visite en Israël, le 8 juin, M. Sarkozy s’est subitement aligné sur les positions de la droite nationalis­te en défendant l’idée de deux Etats-nations vivant côte à côte, l’un israélien et l’autre palestinie­n, avant d’ajouter, sibyllin, qu’il faudra « résoudre » la question des citoyens arabes vivant en Israël. 3. Un bilan économique pas fameux : sous son mandat, la dette de la France a augmenté de 600 milliards d’euros, un tiers seulement étant imputable à la crise des subprimes de 2007-2008, qui a bon dos. Sans parler de la liste de ses grandes réformes qui tient sur un ticket de métro. C’est sans doute pourquoi il refuse aux siens un droit d’inventaire. 4. Une manie de courir après le vent. C’est ce qui l’amène à opérer, telle la girouette, de comiques volteface : ainsi quand, après avoir promis en 2014 l’abrogation du mariage pour tous, il s’est dit « assez impression­né » , samedi, par le oui massif des Irlandais interrogés par référendum sur le mariage gay. Un résultat qui, soudain, semblait le réjouir. 5. Une usure naturelle : contrairem­ent à d’autres grandes figures de la politique, comme Mitterrand ou Chirac, M. Sarkozy n’est pas homme à se faire oublier un moment avant de revenir en force. Il ne sait pas donner du temps au temps. Il faut toujours qu’il soit sur l’estrade, la photo, l’affiche. 6. Un flou peu artistique. Il en est des stratégies comme du reste : quand on en a trop, c’est qu’on n’en a pas. Face au Front national, M. Sarkozy hésite toujours entre la triangulat­ion, le copiage et le combat frontal. Sur le plan économique, il navigue aussi à vue, prévoyant ainsi de conserver la loi débile des 35 heures, qu’il oublia de supprimer pendant sa présidence avant de promettre son abrogation en 2012. 7. Un style dépassé. Le bonapartis­me narcissiqu­e a fait son temps. Puisse le vent emporter les soi-disant « hommes providenti­els », si ébouriffan­ts fussent-ils, pour laisser enfin la place à des présidents qui fassent le job…

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