Chez Patricia
AParis, une petite maison de campagne est un hôtel particulier. En banlieue, c’est un pavillon de banlieue. Pour fêter la parution de son premier livre – « Mes années avec Joseph Losey » (L’Age d’homme, 22 €) –, Patricia Losey rassemble chez elle quelques amis cinéphiles. Michel Ciment revient de Cannes avec deux doigts cassés : pas en tombant des marches du palais des Festivals, mais de celles d’un autocar. N’ai pas songé à lui demander ce qu’il faisait dans un autocar. La montée des marches est devenue le plus grand film de Cannes, en tout cas le plus long : quatorze heures en tout. Le tapis rouge a remplacé l’écran blanc. Les projections ne sont plus des plats de résistance, mais des amuse-gueule. Michel me parle d’un formidable drame turc. Allez donc retenir le titre d’un drame turc pendant un cocktail. Jeanne Grouet, la traductrice du livre de Patricia, ne peut s’empêcher de faire des photos, art qu’elle a appris à Arles. Cette allitération n’aurait pas plu à Nabokov, mais il est mort. En juillet, comme Losey. Mais sept ans avant. Le père de Jeanne, l’éditeur Jean Grouet, a choisi le champagne et les vins avec une science que Bernard Frank admirait déjà chez lui. L’écrivain et universitaire Jean-Marc Moura a une conversation sur les maladies tropicales avec une jeune et jolie employée de l’OMS qui revient du Vietnam et du Cambodge. Patricia est radieuse comme la jeune fille qu’elle était quand elle a rencontré Jo, dont elle a commencé par être la collaboratrice avant de devenir l’amie, puis l’amante, puis l’épouse et enfin, de temps à autre, le souffre-douleur. Suzanne Jamet, qui a remplacé Vladimir Dimitrievic à la tête de L’Age d’homme, passe les plats, ce que Vladimir n’a sans doute jamais fait, même pour un écrivain qu’il aimait. De toute façon, à quelques exceptions près, ils étaient tous morts. J’ai connu Suzanne quand elle était la compagne de Jacques-Pierre Amette, l’un des grands critiques littéraires du XXe siècle. Quand rassemblera-t-il ses articles du Point ? Il faut rassembler soi-même ses articles, car il n’est pas certain que nos descendants sauront de quel côté ouvrir un journal. Arnaud Le Guern – qui publie un magnifique épithalame estival en septembre prochain (« Adieu aux espadrilles », Ed. du Rocher) et m’a fait découvrir Le Charivari (≈≈) à Montparnasse, la terrasse de Paris où il y a les plus jolies filles et la meilleure charcuterie –, devrait s’en occuper.
On sait tout sur Losey, notamment qu’il avait une femme avec qui il pouvait discuter. Chassé de son pays parce qu’il était communiste – aujourd’hui, les cinéastes américains ont trouvé la parade : ils ne sont plus communistes –, il s’est réfugié en France, pays de la liberté de penser qui deviendrait, peu après la mort de Jo (1984), celui de la liberté de dépenser. Losey a mis en images parfaites les trois sommets de l’oeuvre de Harold Pinter : « The Servant », « Accident » et « The Gobetween » (« Le Messager »). Pinter était meilleur quand l’histoire n’était pas de lui, et Losey était meilleur quand les dialogues étaient de Pinter. Le livre de Patricia se lit comme un film à grand spectacle, où défilent de nombreux per s onnages c i nématogra - phiques (Baldwin, Bogart, Burton, Delon, Toscan, Moreau, Stoppard, Seyrig, etc.). Il est plein de détails savoureux. On apprend par exemple qu’il a plu pendant le tournage du « Messager » et fait le beau temps qu’on voit dans le film tout de suite après