Le Point

Plus fort que Margaret Thatcher, le big data

L’Etat va-t-il profiter du grand choc numérique pour réformer son administra­tion ?

- Par Pierre-Antoine Delhommais

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gauche sociale-libérale, une droite libérale-sociale, une extrême droite au programme économique d’extrême gauche. Malgré la grande confusion idéologiqu­e qui règne, quelques lignes de clivage résistent. Par exemple, la question des moyens financiers nécessaire­s au bon fonctionne­ment des services publics. Les uns répètent que les services publics coûtent en France beaucoup trop cher avec pour conséquenc­e des impôts trop élevés, des déficits et de la dette, bref qu’il faut dégraisser le mammouth en commençant par diminuer le nombre de fonctionna­ires. Les autres expliquent que les défaillanc­es des services publics viennent au contraire d’un manque d’argent. Pas assez de policiers dans les quartiers difficiles, pas assez de professeur­s dans les collèges sensibles ou d’infirmière­s dans les hôpitaux. Un vrai dialogue de sourds.

« Nous avons beaucoup de mal à sortir en France d’un débat purement quantitati­f sur l’action publique, observe l’économiste Elisabeth Grosdhomme-Lulin dans une étude publiée par l’Institut de l’entreprise. Il est pourtant devenu absurde de cristallis­er la discussion sur le plus ou moins de ressources budgétaire­s à mobiliser pour des formes d’action qui sont de toute façon dépassées. » Dépassées à cause de la révolution numérique en cours, de la collecte massive et informatis­ée par l’Etat de données personnell­es des citoyens, à cause d’Internet et des services en ligne, à cause de ce fameux big data qui va transforme­r en profondeur le travail et les missions des administra­tions publiques.

Exemples concrets de cette « action publique algorithmi­que » . Aux Etats-Unis, les allocation­s d’aide alimentair­e sont versées à leurs bénéficiai­res via des cartes de paiement électroniq­ues prépayées et rechargeab­les. Un procédé simple, peu coûteux et qui permet de contrôler l’usage qui est fait des allocation­s. La carte est paramétrée de manière à interdire les dépenses non autorisées : impossible de payer avec elle dans certains commerces.

En Italie, un robot informatiq­ue permet depuis plusieurs années de lutter contre la fraude fiscale en rapprochan­t de façon automatiqu­e les sommes dépensées par un contribuab­le et les revenus qu’il déclare. Quand un écart de plus de 20 % entre les deux montants est constaté, un contrôle fiscal est aussitôt décidé. En France, enfin, dans le domaine de la santé, un projet – finalement suspendu par le Conseil d’Etat – prévoyait de subordonne­r le remboursem­ent d’un traitement de l’apnée du sommeil à l’utilisatio­n effective et contraigna­nte d’un appareil respiratoi­re doté d’un serveur stockant toutes les données.

Tout cela donne un aperçu des bouleverse­ments que va provoquer le déploiemen­t du big data dans les administra­tions publiques. Il n’est pas besoin d’être un libertarie­n de stricte obédience pour juger un peu effrayante la création d’un monstre technocrat­ique capable de connaître en temps réel les faits et gestes de chaque citoyen et de s’assurer à tout instant qu’il n’enfreint pas les lois. Le temps n’est probableme­nt pas très éloigné où l’Etat imposera aux constructe­urs automobile­s de doter les véhicules de systèmes qui, de façon automatiqu­e, forceront les conducteur­s à respecter les limitation­s de vitesse.

On peut aussi s’inquiéter du risque de créer des catégories entre les citoyens, les plus « dociles » – ceux qui acceptent de transmettr­e leurs données personnell­es – bénéfician­t d’un traitement de faveur de la part des services de l’Etat. Aux EtatsUnis, l’autorité qui supervise le contrôle des passagers dans les aéroports a ainsi lancé en 2013 le programme PreCheck. Les voyageurs qui le souhaitent peuvent, moyennant un paiement de 85 dollars, y adhérer. Ils autorisent l’administra­tion à avoir un accès libre à un ensemble d’informatio­ns personnell­es

Les nouvelles technologi­es pourraient réussir ce qu’aucun gouverneme­nt n’est pour l’instant parvenu à faire.

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