Libre-échange : la leçon africaine
Tandis que l’accord transatlantique piétine, l’Afrique, prête à décoller, crée le 3e marché du monde.
A ccompagnant
le centre de gravité du capitalisme, le libreéchange bascule au sud. Dans les pays développés, la déstabilisation des classes moyennes par le chômage et le surendettement alimente le populisme, fourrier du protectionnisme. Aux EtatsUnis, les élus démocrates à la Chambre des représentants viennent de refuser à Obama l’autorisation du fast track indispensable pour l’aboutissement des négociations du Partenariat transpacifique. Des deux côtés de l’Atlantique montent les oppositions à la création d’une grande zone de libre-échange entre l’Europe et les Etats-Unis (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), y compris dans des pays favorables à l’ouverture des échanges, comme l’Allemagne. Le mouvement d’intégration de l’Europe est remis en question par les menaces de sortie du Royaume-Uni de l’Union et de la Grèce de l’euro. C’est le moment choisi par l’Afrique pour poser la première pierre d’un grand marché allant de la Méditerranée au cap de Bonne-Espérance.
Le 10 juin, 26 des 54 Etats africains ont signé à Charm el-Cheikh un traité de libre-échange qui regroupe le sud et l’est du continent, de l’Afrique du Sud à l’Egypte. Cet espace commercial rassemble 625 millions d’habitants et génère un PIB de 1 200 milliards de dollars et 100 milliards de dollars d’échanges par an, montant modeste mais qui a triplé en dix ans. Cette zone de libre-échange constitue le 3e marché du monde. Elle est très loin derrière l’Alena en Amérique du Nord (PIB de 21 000 milliards) et l’UE (PIB de 18 000 milliards). Mais son potentiel de croissance est considérable. D’abord en raison de sa démographie, puisque le continent comptera 2 milliards d’habitants et une classe moyenne de plus de 800 millions de consommateurs en 2050. Ensuite parce que le décollage de l’Afrique se poursuit, avec une croissance de 4,5 % en 2015, contre 2,8 % pour le monde ; porté par la demande intérieure, contrairement au modèle extraverti de l’Asie, le développement a permis de réduire la pauvreté de 50 à 30 % de la population depuis 1990. Enfin parce que la libéralisation des échanges intérieurs au continent représente un formidable gisement de croissance et d’emplois. Ils ne représentent en effet que 12 % du commerce extérieur de l’Afrique, contre 45 % en Asie-Pacifique et 65 % en Europe. Par ailleurs, les droits de douane moyens culminent à 15 %, contre 4 % en moyenne dans le monde.
« Un seul bras ne fait pas le tour du baobab », dit un proverbe malien. En matière commerciale plus qu’en toute autre, l’union fait la force. Les zones de libre-échange permettent aux entreprises de produire pour des marchés disposant d’une taille critique, et donc d’améliorer la qualité de leur offre et leur productivité. Elles bénéficient aux consommateurs en renforçant la concurrence, qui pousse les prix à la baisse. Elles incitent à améliorer les infrastructures. L’intégration financière permet d’accélérer les investissements et de mobiliser les capitaux extérieurs. L’intégration juridique favorise le renforcement de l’Etat de droit. Enfin, le libre-échange peut être un puissant moteur pour installer la paix entre les nations et les peuples.
Pour toutes ces raisons, le mouvement d’intégration du continent amorcé à Charm el-Cheikh constitue un excellent moyen pour consolider le décollage de l’Afrique, au moment où le ralentissement de la Chine marque la fin du supercycle des matières premières et où les taux d’intérêt entament une remontée. Il reste à mettre en place rapidement les premières mesures de diminution des droits de douane et des obstacles réglementaires aux échanges pour lui donner du contenu et de la crédibilité.
La libéralisation des échanges demeure le meilleur antidote à la stagnation et au chômage.