Le Point

La Grèce et l’ami

Vassilis Alexakis reçoit le prix François-Billetdoux pour « La clarinette », chant d’amour à son pays et à son éditeur disparu.

- PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE

a condition des Grecs se rapproche de celle des migrants d’Afrique… » nous dit Vassilis Alexakis à propos du personnage d’immigré congolais que l’on croise à Athènes dans son dernier roman. Oui, c’est vraiment en lisant « La clarinette » que l’on prend la mesure sensible de l’effondreme­nt de son pays natal. L’écriture de ce livre sur la mémoire et sur la crise grecque fut percutée par la mort de son éditeur, JeanMarc Roberts. « Je dépéris », lit-on sur les murs d’Athènes, lui racontait Alexakis. « C’est exactement ce qui m’arrive », lui répondait son ami en ajoutant : « Tu ne vas pas nous faire un livre sinistre, j’espère ? » Pas sinistre, non. Bouleversa­nt. Alexakis l’a finalement écrit en français, « parce qu’il me restitue le son de ta voix », dit-il à Roberts. A son unique éditeur (depuis son premier roman, « Sandwich », en 1974) il offre ce magnifique tombeau en forme de dialogue ininterrom­pu d’avant, pendant et après la maladie qui l’emporta l’an dernier, un 25 mars, jour de la fête nationale grecque. « La clarinette » est le journal intime et collectif d’une période vécue entre deux drames, sans « mélodrame » , une observatio­n étonnée du quotidien, parfois même comique. Faut-il rire ou pleurer quand Alexakis regarde des gouttes d’eau sur le sol prendre en s’y écrasant la forme de pièces d’euro ?

Le livre est né d’un mot (ou d’un « do » ?) perdu : pourquoi, ce jour-là, l’écrivain n’arrive-t-il pas à retrouver le nom de cet instrument de musique, ni en grec ni en français ? Comment oublie-t-on ? Les anciens Grecs auraient-ils érigé un autel de l’oubli sur l’Acropole « pour occulter les événements susceptibl­es de les déprimer » ? A une voisine d’avion le narrateur définit ainsi son métier : « Je suis équilibris­te. » Alexakis l’est admirablem­ent jusqu’au bout d’un livre qui cherche la tendresse du monde « La clarinette », de Vassilis Alexakis (Le Seuil, 350 p., 21 €).

 ??  ?? Hommage. Alexakis a écrit en français. « Parce qu’il me restitue le son de ta voix », dit-il à Roberts, son éditeur.
Hommage. Alexakis a écrit en français. « Parce qu’il me restitue le son de ta voix », dit-il à Roberts, son éditeur.

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