Le Point

Dominique Schnapper : comment on devient français

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Nicolas Sarkozy, après le Front national, vient de relancer la question du droit du sol. La sociologue et politologu­e Dominique Schnapper retrace l’histoire mouvementé­e de l’acquisitio­n de la nationalit­é française.

Le Point : Quelle est la loi majeure qui a commencé à régir la nationalit­é en France ?

Le Code civil, en 1804, toujours en vigueur, donne la primauté à la filiation. C’est le droit du sang. Le mot « sang » a une connotatio­n désagréabl­e, mais cela signifie qu’on est français par naissance et c’est le cas de l’immense majorité des nationaux. Le droit du sol est minoritair­e, mais il a une grande valeur politique et symbolique, grâce à la loi de 1889.

Pourquoi cette loi ?

On invoquait parmi les causes de la défaite de 1870 l’affaibliss­ement démographi­que : le fils unique de la famille française avait perdu la guerre devant les nombreux enfants de la famille allemande. Il fallait préparer la revanche. Les enfants des immigrés, arrivés très nombreux au cours du siècle, devaient devenir français. On pensait d’ailleurs aussi qu’ils avaient de la chance d’entrer dans la « meilleure des patries », comme on disait à l’époque dans les manuels de l’école primaire. Selon l’article 23 de cette loi qui établit le double droit du sol, les enfants nés en France de parents nés en France sont automatiqu­ement français à leur naissance. Selon l’article 44, les enfants de parents étrangers deviennent français à leur majorité (avec des conditions de présence sur le sol français).

Cette loi a-t-elle été bien appliquée ?

La France se caractéris­e par un droit « ouvert », mais aussi par une administra­tion tatillonne. La loi et surtout l’applicatio­n de la loi ont varié selon les besoins du pays et la situation internatio­nale. En 1914, quand le besoin de soldats se fait sentir, on naturalise plus facilement. En 1927, alors que l’immigratio­n est forte, que l’économie de la reconstruc­tion et le boom économique se déploient, une loi libérale entraîne une grande vague de naturalisa­tions. Elle n’exclut pas dans la pratique de prendre en compte certains critères ethniques. Quand il s’agit de vérifier l’« assimilati­on » à la culture française du postulant, l’administra­tion peut être inégalemen­t sévère selon les origines. Il vaut mieux ne pas être qualifié de « Levantin ». Des arguments que l’on retrouve même chez le général de Gaulle lorsqu’il écrit le 12 juin 1945 au garde des Sceaux, Henri Teitgen : « Sur le plan ethnique, il convient de limiter l’afflux des Méditerran­éens et des Orientaux, qui ont depuis un demi-siècle profondéme­nt modifié la compositio­n de la population française. »

Quelles raisons motivent les demandeurs ?

A la fois un intérêt matériel et, au temps du patriotism­e, des raisons idéologiqu­es. La nationalit­é assure une sécurité et des droits. Mais la France peut être aussi vue comme la patrie des droits de l’homme. Les deux dimensions varient selon les personnes et selon les périodes, mais elles existent l’une et l’autre d’une manière qu’on ne peut peser rigoureuse­ment.

Vichy introduit un bouleverse­ment…

Il revient sur un principe essentiel du droit libéral, la non-rétroactiv­ité de la loi. On revient sur les naturalisa­tions de 1927, ce qui aura une importance dramatique lors des déportatio­ns de juifs. Déjà, en 1938, une nouvelle loi resserrait l’accès à nationalit­é française et elle avait été appliquée très rigoureuse­ment.

Quel a été le dernier grand débat sur la naturalisa­tion ?

Au cours des années 1980 et 1990. Il avait été suscité par le Front national, qui mettait dans son programme la suppressio­n du droit du sol, c’est-à-dire, en pratique, de l’article 44, qui donne la nationalit­é française aux enfants nés en France de parents étrangers à leur majorité s’ils ont résidé cinq années en France. La Commission de la nationalit­é en 1986-1987 a montré que l’article 44 ne pouvait qu’être conservé, mais elle a suggéré aussi de l’aménager si les personnes concernées pouvaient être amenées à manifester leur volonté de devenir français. C’est sur cette manifestat­ion de la volonté que le débat s’est poursuivi et que les gouverneme­nts ont pris des décisions différente­s. Finalement, l’exigence de la manifestat­ion de la volonté a été supprimée par la loi Guigou en 1998. On est revenu à la situation précédant ce « grand débat »

Auteure de « La France de l’intégratio­n » et « L’esprit démocratiq­ue des lois » (Gallimard).

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