Le Point

Ils ont bénéficié du droit du sol

- FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN

Pour ces hommes illustres, devenir compatriot­e de Voltaire et Hugo a souvent tenu du parcours du combattant. l’année qui suit leur majorité, la qualité de Français » , écrit le fonctionna­ire qui reçoit le futur auteur de « Germinal ». La démarche aboutit aussitôt, le second Empire, qui vient de naturalise­r le Prussien Jacques Offenbach, fils d’un cantor de la synagogue de Cologne, étant favorable aux étrangers.

Même dans un contexte de libéralisa­tion, la demande de naturalisa­tion relève du parcours du combattant. C’est le cas pour le Russe Marc Chagall en 1927. Arrivé en France en 1910, reparti en 1914, revenu en 1923, il veut régularise­r sa situation. Il a le soutien de Léon Blum, qui le recommande au ministre de la Justice. Une note des RG bloque son dossier : « Le postulant n’offre aucun intérêt quant à son âge. » Trop vieux pour combattre et repeupler la France. La Préfecture de police rend un verdict défavorabl­e. Chagall fait intervenir Jean Paulhan, directeur de la NRF, Jean Cassou, directeur du musée du Luxembourg. En vain. André Dezarrois, conservate­ur du musée du Jeu de paume, sollicité pour un avis, déclare : « Il n’était pas un peintre russe, il ne sera jamais un peintre français. » Un propos qui fleure bon la xénophobie galopante des années 30. Il faudra l’interventi­on du ministre de l’Education, Jean Zay, pour faire aboutir le dossier Chagall après dix ans de tracasseri­es qui en auront découragé certains, comme Picasso.

Si les demandes administra­tives sont rédigées sur un ton neutre, elles dissimulen­t souvent un amour vibrant pour la France. En témoigne cette lettre d’Eugène Ionesco – qui ne deviendra français qu’en 1957 –, désespéré de devoir retourner en Roumanie en juin 1940 : « Considérez-moi dans ces jours de malheur comme un membre de la famille française, un parent pauvre, et accordez-moi l’honneur de m’accepter, spirituell­ement, dans votre, dans notre maison. Je me déteste de ne pas être un dieu et de ne pouvoir sauver la France ni anéantir ses ennemis. C’est tellement tristement idiot de ne pouvoir faire que des phrases, de n’offrir que des larmes, que de l’impuissanc­e. » Peut-on mieux aimer la France qu’en ses heures les plus sombres, avec cette déclaratio­n aux accents churchilli­ens ? 1. « Ils sont devenus français », de Doan Bui et Isabelle Monnin (JC Lattès, 2010, 304 p., 24,90 €).

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