Au secours, Robespierre revient !
L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
L’Apocalypse est un filon, j’allais dire un métier. Il est de toutes les époques et plonge ses racines dans une tradition séculaire qui nous incline à pleurnicher sur notre sort. Depuis le temps que la France dégringole, il y a belle lurette qu’elle aurait dû rejoindre l’autre côté de la Terre. Le souverainisme est l’enfant crépusculaire de cette idéologie de la dépréciation. De même que l’ignorance devient encyclopédique avec la révolution numérique, le nationalisme à la française a marqué beaucoup de points, ces dernières années, alors que la mondialisation montait en puissance. C’est une réaction, au sens politique du mot. De Marine Le Pen à Olivier Besancenot en passant par le PC, les nouveaux réactionnaires proviennent de la droite ou de la gauche et désignent les mêmes ennemis à la vindicte populaire : la haute finance internationale, le cosmopolitisme apatride, les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Chine. Sans oublier l’Europe, objet de tous les ressentiments, et le libéralisme, invention pourtant française, née avant la Révolution, devenue désormais l’une des pires insultes qui soient. Il n’y a guère que Vladimir Poutine pour échapper à leur ire contre les étrangers. Sans doute parce que l’antiaméricanisme est leur meilleur ciment et que le président russe, soucieux de faire oublier ses fiascos économiques, exalte sans cesse les valeurs traditionnelles ou le culte de la nation. Lancé dans une campagne de militarisation du pays, il vient d’inaugurer près de Moscou Patriot Park, une version « fana-mili » de Disneyland, pour l’édification des enfants. Charmant. Le poutinisme est la maladie sénile du nationalisme et c’est ce qui explique son succès chez nos gaucho-frontistes. Contrairement à la légende, la haine de l’« autre » n’est pas une spécificité de l’extrême droite. Cette pathologie remonte aussi aux sources de la vieille gauche, c’est-à-dire à l’âge d’or du robespierrisme, quand la France se croyait menacée par les « étrangers », de l’extérieur comme de l’intérieur, dans une paranoïa nationale qui permit d’amortir les guillotines qui tranchaient à tout-va.
N’en déplaise aux adorateurs peu avertis de l’Incorruptible, Maximilien Robespierre fut un xénophobe frénétique, précurseur du lepénisme, qui s’en prenait continuellement à la « race impure » ou aux « agents de l’étranger ». Il suffit de relire ses discours : à l’en croire, c’était bien de l’étranger que venait tout le mal. Robespierre proposait de « bannir » les étrangers, qu’il accusait d’affamer le peuple et de détruire l’économie. Un politicien moderne, dans son genre : c’était toujours à l’« autre », pas à lui-même ni à ses fautes, qu’il imputait les malheurs du peuple. « L’étranger corrompt tout », déclarait par ailleurs Saint-Just, autre apôtre de la Terreur. Il conspire, il contamine, il faut donc l’éradiquer.
Les mêmes démons nationalistes pourrissaient la tête de Drumont, de Maurras et de tous les intellectuels de la droite de la droite qui, au XIXe ou au XXe siècle, dénoncèrent les juifs, auxquels ils ajouteraient aujourd’hui les Arabes, que les néoxénophobes associent sans vergogne à l’islamisme radical. D’où peut-être notre cynique indifférence à la Ponce Pilate devant le martyre de l’homme syrien, victime expiatoire du totalitarisme de Daech. Insupportables sont les images de ces réfugiés syriens aux yeux exorbités par le malheur, qui s’amassent à la frontière turque. Misérables sont les réactions d’une classe politique qui ne songe qu’à complaire à une opinion effrayée par les invasions de « migrants ».
Faut-il que nos coeurs soient devenus secs pour que nous assistions sans broncher à la dévastation de la Syrie par les bouchers de l’islamo-nazisme ? Que nous est-il arrivé pour que, soudain, nos regards ne nous portent plus au-delà des frontières ? Tels sont les effets du nationalisme, cette sorte de racornissement cérébral. En passe de devenir l’idéologie dominante, le souverainisme est un isolationnisme qui conduit à une forme de démission collective, comme si la France, enfouie derrière ses frontières, n’avait plus rien à dire au monde. En un sens, il vaut mieux, quand on songe au ramassis de sottises proférées par le Front national et la gauche de la gauche à propos de la dette grecque. Pour parachever le repli sur soi, le souverainisme est la matrice d’un antilibéralisme obsessionnel. La France, patrie du communisme mou, se voit ainsi dans son miroir déformant comme un avatar de l’ultralibéralisme où le renard libre ferait la loi dans le poulailler libre. Il y a quelque chose de comique et de pathétique dans ce refus du réel qui donne la berlue à tant d’entre nous.
Pour l’heure, mieux vaut en rire qu’en pleurer : ils n’ont pas encore gagné…