Vers une guerre civile ?
Les événements de janvier 2015 ont prouvé deux choses : qu’une grande nation peut se trouver en quelques heures au bord de l’abîme du fait d’une poignée de tueurs capables de semer la panique. Pendant deux jours, tout a semblé possible, surtout le pire. Mais, dans l’ensemble, une fois les sicaires neutralisés et la sidération passée, les Français ont réagi de manière extraordinairement civilisée : aucun appel à la haine, aucun pogrom ou expédition punitive, quelques actes malveillants, inévitables dans ce contexte. Au Niger, fin janvier, en réponse à la publication du nouveau Charlie Hebdo, c’est-à-dire à des dessins, les manifestants surexcités détruisirent 80 % des lieux de culte chrétiens. L’assassinat de 17 citoyens français par des fanatiques n’a pas suscité de réflexes de lynchage collectif chez nos compatriotes ; personne n’a confondu les extrémistes avec l’ensemble des musulmans. Mais cette retenue est fragile. Si demain des nervis commençaient à tirer sur les fidèles dans une église ou dans une synagogue, provoquant un bain de sang, le risque de représailles a u g ment e r a i t d e f a ç o n v e r t i g i n e u s e . C’ e s t exactement ce que veulent les djihadistes : couper définitivement les fidèles du Coran de la communauté nationale et provoquer une guerre civile dont ils s’imaginent sortir vainqueurs. A tout moment, nous le savons, un attentat peut frapper l’Hexagone, dans une gare, une station de métro, une école, et causer de nombreuses victimes. La torpeur estivale et les cinq mois qui nous séparent des attaques contre Charlie et l’Hyper Cacher sont illusoires. L’ennemi est parmi nous et se prépare à passer à l’acte sur le « territoire des croisés et des sionistes », transformant chaque citoyen en cible potentielle.
Depuis quelque temps, les années 30 sont devenues à nouveau la référence de nombreux analystes : pour les uns, surtout à gauche de la gauche, nous vivrions les prodromes d’un nouvelle peste brune qui aurait remplacé partout en Europe la haine des juifs par celle des musulmans et des immigrés. Le Front national serait le représentant par excellence de ce courant. Bref, le « ventre fécond dont est sorti la bête immonde », pour reprendre l’inusable cliché de Bertolt Brecht, accoucherait d’une nouvelle extrême droite aussi dangereuse que ses ancêtres du XXe siècle en affichant sa défense de l’identité nationale.