Je me souviens de Victor Hugo
J’aborderai le thème auquel ce numéro est consacré sous l’angle très subjectif de mon expérience. Je ne vois guère le moyen de faire autrement. Je n’ai pas les compétences requises pour écrire un traité sur le sujet, à peine celles d’esquisser quelques réflexions.
Ma situation est assez singulière puisque je viens de cette partie de la Syrie où les touristes n’allaient jamais, cet espace oublié, aujourd’hui ravagé par la folie des hommes. C’est là, dans les murs d’un lycée d’une de ces villes que l’on dit bédouines, que j’ai pour la première fois été mis en contact avec la France, son idée.
La région avait été sous mandat français de 1920 à 1946. Cette histoire était passée, non tout à fait oubliée néanmoins, et les enjeux de la modernité, que l’Europe, et la France particulièrement, avait importée sur nos terres envahissaient les débats. C’était l’époque des indépendances nationales, des conflits sur le sens à donner à ces nouvelles identités, des tensions géopolitiques, des oppositions doctrinales.
Au milieu de ces différends parfois violents, quelques professeurs passionnés, qui ne représentaient certes pas l’opinion générale mais dont j’aimais l’enthousiasme rêveur, nous initiaient à la France et aux idéaux qu’elle portait à travers sa littérature. Je me souviens ainsi de Victor Hugo et son auréole républicaine.
L’abord littéraire nous épargnait les considérations politiques trop pénibles. Il nous ouvrait une autre dimension : celle du sentiment. Il nous donnait à éprouver les idées généreuses de liberté, d’égalité, de fraternité bien mieux que ne l’eût fait une devise. Il nous permettait de toucher à l’universel à travers la langue et l’histoire d’un peuple particulier.
Au vrai, nous baignions dans ces grandes idées pour autant qu’elles constituent le socle de la modernité qui nous rattrapait. Les Frères musulmans eux-mêmes ne dérogeaient pas à la règle avec leur socialisme adapté à l’islam. Mais ces idées étaient enfouies sous