Le Point

Etre français et européen ?

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La hantise du déclin est l’angoisse favorite et récurrente des Français. Au temps où ils se voyaient comme la « grande nation », comme une grande puissance, ils craignaien­t le déclasseme­nt, particuliè­rement après les défaites de 1815 et de 1871. Il n’en fut rien et ils gardèrent un rôle important tout au long du XIXe siècle. L’acquisitio­n d’un nouvel empire colonial leur donna même une influence planétaire. La victoire de 1918 aurait dû les conforter et les réconforte­r. Ce fut le cas, mais partiellem­ent seulement. L’angoisse subsistait, tant était redoutée la capacité de revanche de l’Allemagne. Le coup le plus rude est porté en 1940. Cette fois, c’est la réalité, ce n’est plus seulement un fantasme : avec la débâcle, la France perd son statut de grande puissance. Certes, ses grands voisins européens connaissen­t le même sort à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et sont ravalés, comme elle, au rang de puissance moyenne au profit des deux géants, l’américain et le soviétique. Néanmoins, cette terrible défaite atteint l’« idée » même de la France, le coeur de son identité et, dans les années 50 et 60, la perte de l’Empire a pu aggraver le malaise.

Etonnammen­t, cette crise ne dure pas. Le slogan de 1945 « Retrousson­s nos manches » fait l’unanimité nationale : le pays se reconstrui­t, avec comme obsession la modernisat­ion. L’objectif est de ne plus se retrouver dans une situation d’infériorit­é face à un quelconque ennemi. Le syndrome de 1940 a décuplé la hantise du déclin, mais au point d’en faire une source de résilience. Résultat : dans les années 60, l’économie française reste sans doute derrière l’économie allemande, mais dépasse d’une façon spectacula­ire l’économie britanniqu­e, et ce pour la première fois depuis deux cents ans. Avec l’Allemagne surtout, la France construit l’Europe, y exerçant un leadership partagé mais incontesta­ble, de Monnet à de Gaulle et à Mitterrand, d’Adenauer à Kohl. La France demeure une puissance moyenne, mais la Communauté, puis l’Union européenne est pour elle un multiplica­teur d’influence, compensant largement la perte d’un empire colonial devenu un boulet. Etre français et européen à la fois était naguère une identité porteuse d’avenir.

Depuis les années 90 et 2000, l’optimisme cède la place au pessimisme ; à la hantise résiliente du déclin succède un déclinisme complaisan­t et délétère. La situation est pourtant paradoxale. Il reste de la tradition coloniale et du rebond européen un héritage fort : l’influence de la France n’a jamais été aussi grande depuis longtemps, plus importante que celle des Britanniqu­es en Europe, plus importante que celle de la RFA dans le monde, puisque les Allemands n’ont pas la même capacité d’interventi­on en Afrique ou au Moyen-Orient. Bref, la France se porte mieux que les Français. Un chômage massif depuis quarante ans, une désindustr­ialisation qui métamorpho­se le tissu économique et social du pays, une immigratio­n qui fait peur, voilà certains ingrédient­s d’une crise qui, étonnammen­t, dure. Une crise d’identité nationale ? C’est vite dit et il convient de se mettre d’accord sur les mots. Ce n’est pas le lien des Français à la France qui fait problème, comme c’était le cas en 1940, ni donc le sentiment d’appartenan­ce à la nation, qui reste très fort, mais le lien entre les Français eux-mêmes. Aujourd’hui, la question « Qu’est-ce que la France ? » unit ; la question « Qu’est-ce qu’être français ? » divise. L’Europe, grandement élargie, ne paraît plus ouvrir l’horizon qui transcende le malaise. Le poids de la France s’y dilue, les solidarité­s entre membres se délitent, comme le montre la crise grecque. L’articulati­on entre identité nationale et identité européenne se fait moins harmonieus­e. Pourtant, à moins qu’on se résigne à voir l’Union se détricoter et le repli sur soi triompher, il serait pertinent aussi de dédoubler la question : « Qu’est-ce qu’être français et européen ? » La réponse sera moins simple, mais elle obligera à chercher ensemble des pistes sur un registre spatial approprié. En Europe, les identités nationales, quelle que soit leur vigueur, posent partout les mêmes questions angoissant­es, auxquelles les réponses ne peuvent plus être trouvées dans les seuls cadres nationaux

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Le hipster français
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