Chef du restaurant Hélène Darroze (Paris 6e)
conscience puisqu’elle m’a interdit de m’exprimer dans d’autres idiomes, forcément barbares. « J’admire comme une brute » – la formule est, je crois, de Flaubert – Molière, Racine, Corneille et notre littérature du XIXe siècle, à laquelle je ne vois nulle part de concurrence. De même, je n’aperçois pas un monument qui puisse rivaliser avec notre château de Versailles. J’avoue que si je préfère la tour Eiffel au Taj Mahal, c’est moins par patriotisme architectural que par goût de la proximité. Lorsque je sors de chez moi, sans aucune intention d’aller mouiller mes guêtres dans le Gange, le grandiose édifice métallique du génial Gustave est toujours plus présent dans mon ciel qu’au ras du sol les taxis à la station qui, toute proche, leur est affectée.
Je suis également un inconditionnel de nos fromages même si, quand ils arrivent sur la table, je n’ai souvent plus faim. Je prône avec un enthousiasme identique nos vins, même si je les consomme aussi parcimonieusement qu’une liqueur. Je ne manque pas une occasion de clamer que notre télévision est la meilleure du monde alors que je n’en ai jamais regardé d’autres. Nos filles de 20 ans me paraissent beaucoup plus jolies que les quadragénaires américaines. Je suis heureux que tant de modes partent de Paris avant de faire le tour de l’univers. J’éprouve une admiration unilatérale pour Napoléon. Enfin, j’ai davantage d’indulgence pour Hollande depuis qu’il est devenu le gardien du Panthéon. Si je ne le crois pas digne d’y entrer plus tard, je ne cache pas le plaisir que j’aurais à le voir s’y installer tout de suite On est coincés. Coincés par la droite, qui s’accroche à ce mot « identité » comme à un grand bouclier pour se défendre de l’envahisseur ; coincés par la gauche, qui lui attribue des relents réactionnaires, racistes et ringards. Mais, si on oublie tout cela, l’évidence est simple : l’identité est faite des lignes fortes du passé d’une nation ; c’est son visage, sa voix, son allure. Et celles de la France s’enracinent dans sa littérature, dans sa langue. Plus généralement, dans le goût très marqué et la fierté que les Français ont eus pendant des siècles pour leurs arts et leurs artistes. C’est cela qui suscitait le rêve et l’envie de tant d’amoureux de la France et du français. Ceux qui regardaient notre pays comme le phare de la civilisation, celui qui avait déjà un millénaire de littérature et une langue d’une précise beauté. Cela n’est plus vraiment le cas, semble-t-il. Nous pouvons seulement espérer que les politiques ne s’adonnent pas au plaisir masochiste de la destruction de ce qui était et de ce qui est encore