Du branchage plutôt que de la souche
Qu’est-ce qu’être français ? J’ai du mal à répondre à la question ainsi formulée. Je peux dire quelle idée j’ai de la France ou du monde, quelle expérience j’ai de l’une et de l’autre, mais je ne sais pas définir ce que serait une identité nationale au singulier, épinglée et étiquetée comme le serait un papillon de collection, ainsi sortie de tout contexte historique, de toute histoire particulière, de tout itinéraire singulier.
Pourquoi ? Tout simplement parce que je ne crois pas qu’il y ait une identité française qui puisse ainsi se réduire à une formulation unique et univoque. Parce que cette identité, dans la diversité de notre peuple, est justement faite de mouvements et de déplacements, de passages et d’évolutions, de croisements et de rencontres. Bref, tout le contraire de la fixité et de l’immobilité – le pluriel plutôt que l’un, le divers plutôt que le même. C’est ce que Mediapart avait proclamé, fin 2009, lors du prétendu débat sur l’identité nationale voulu par Nicolas Sarkozy, dans un appel intitulé « Nous ne débattrons pas », qui disait notamment :
« Accepter que l’Etat entende définir à notre place ce qui nous appartient, dans la variété de nos itinéraires, de nos expériences et de nos appartenances, c’est ouvrir la porte à l’arbitraire, à l’autoritarisme et à la soumission. La République n’a pas d’identité assignée, figée et fermée, mais des principes politiques, vivants et ouverts. C’est parce que nous entendons les défendre que nous refusons un débat qui les discrédite. Nous ne tomberons pas dans ce piège tant nous avons mieux à faire : promouvoir une France de la liberté des opinions, de l’égalité des droits et de la fraternité des peuples. »
Etre français, pour moi, c’est aimer la France telle qu’elle est, telle qu’elle vit, telle qu’elle travaille, telle qu’elle se crée. Une France qui, par la constitution de son peuple, est une Amérique de l’Europe, tissée de migrations successives et d’identités plurielles. Une France qui se construit sans cesse au carrefour du mélange des origines et de l’invention des possibles. Une France du mouvement et non de l’immobilité. Du branchage plutôt que de la souche. De la relation, non de la racine.
Loin d’être abstraite, cette vision de la France est indissociable de son histoire politique concrète. Notre République ellemême est d’invention permanente, toujours en lutte contre les conservateurs qui voudraient arrêter son mouvement en l’immobilisant au prétexte d’une France éternelle, enfermée dans des fixités mensongères et des clôtures xénop h o b e s . L a Ré p u b l i q u e v é r i t a b l e , c’est-à-dire « démocratique et sociale », comme le proclame notre Constitution depuis 1946, n’a cessé de se réinventer par l’exigence d’égalité : égalité des droits et des possibles, sans distinction d’origine, de naissance, d’apparence, de condition et de croyance. En ce sens, aimer la France, c’est l’exiger : faire en sorte qu’elle soit au rendez-vous de cette promesse