Le Point

L’ex-président géorgien, bête noire du Kremlin, a été nommé gouverneur de la cité ukrainienn­e russophone. Sa mission : éradiquer la corruption et le crime organisé.

- DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL, MARC NEXON

Ils sont huit autour de la table. Huit procureurs venus en costume-cravate malgré la chaleur pesante. Ils ont le regard fuyant, les oreilles rouges et la gorge nouée. Face à eux, Mikhaïl Saakachvil­i, 47 ans, nommé deux semaines plus tôt gouverneur d’Odessa. L’homme a le col de sa chemise ouvert et les manches relevées. Il transpire, pointe le doigt, frappe la table de la paume de la main. Il écume : « Des procureurs comme vous, j’en ai connu et ils ont fini en prison ! » Il brandit un document. Une lettre du parquet menaçant un entreprene­ur d’une enquête criminelle. « Cet investisse­ur veut construire un embarcadèr­e pour faciliter la vie des gens et vous le harcelez pour pouvoir le racketter ! » Un participan­t ose une explicatio­n : « Notre fonction nous impose des obligation­s. Les lois et l’intérêt de l’Etat… – Mon cher, arrêtez votre conte de fées ! coupe Saakachvil­i, je sais ce que vous appelez l’intérêt de l’Etat, c’est votre intérêt personnel ! Je vais tordre le cou aux vieilles pratiques de bandits et je me fous de vos protecteur­s. » La réunion s’achève. Les magistrats quittent la salle, sonnés.

Saakachvil­i savoure son effet. Il revit. Lui, l’ancien président géorgien, héros de la révolution des Roses en 2003, célébré par les Occidentau­x et devenu à l’époque le plus jeune dirigeant européen, le voilà à nouveau aux commandes ! Et, cette fois, au coeur du conflit russo-ukrainien, à Odessa, le plus grand port du pays convoité par les séparatist­es pro-russes et considéré par Poutine comme la capitale de la Novorossia (Nouvelle Russie).

Sa mission ? Eradiquer la corruption et bâtir un modèle pour l’Ukraine, jusqu’ici incapable de se réformer. Il débarque auréolé de son bilan en Géorgie avec à son actif la modernisat­ion de la police et de l’administra­tion. Pour le reste, il se défend de tout autoritari­sme et balaie les accusation­s de détourneme­nt de fonds lancées par l’actuel gouverneme­nt géorgien. « Des mensonges qui tomberont » , dit-il.

Son parachutag­e, il le doit à sa vieille amitié avec le président ukrainien Petro Porochenko, rencontré jadis sur les bancs de l’université à Kiev. « Tu ne veux pas aller à Odessa ? Je n’ai personne et c’est catastroph­ique là-bas » , lui glisse ce dernier en forme de boutade. « Je l’ai rappelé le lendemain pour lui dire que ça m’intéressai­t vraiment » , raconte Saakachvil­i.

Et ça tombe bien. Depuis son départ de Géorgie, en 2013, « Micha » ronge son frein. Certes, il a d’abord décidé de

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