Le Point

L’Etat grec privatise aussi mal qu’il gère ses finances. Enquête.

- PAR YANNICK PASQUET, À ATHÈNES

Dans le ciel marine de cette banlieue d’Athènes battue par les vents, le drapeau grec flotte sur les carcasses rouillées d’une grandeur perdue. Le gymnase qui accueillai­t des matchs de basketball durant les Jeux olympiques de 2004 est aujourd’hui grillagé, mangé par les orties, abandonné aux chiens errants. De l’autre côté de la rue sans âme, après le poste de police, le dispensair­e médical d’Hellinikon panse les plaies des victimes du marasme économique. Dans ce préfabriqu­é, des médecins bénévoles prodiguent des soins gratuits à quelques-uns des 3 millions de Grecs qui, englués dans le chômage, ont perdu leur couverture maladie et ne peuvent plus se rendre chez leur médecin.

Mais ils pourraient être prochainem­ent délogés par les pelleteuse­s. L’Etat grec a vendu le bâtiment, ainsi que l’ensemble du site d’Hellinikon, dans le sud d’Athènes, dans le cadre d’un volumineux programme de privatisat­ions demandé par ses bailleurs des fonds internatio­naux. Cette transactio­n et plusieurs autres ont laissé un goût amer, avec en toile de fond hommes d’affaires sulfureux, soupçons d’ententes, ambitions financière­s largement revues à la baisse. Et, au final, le constat que ces privatisat­ions ont surtout servi les intérêts des grands entreprene­urs grecs. Hellinikon a ainsi été cédé au groupedeBT­PLamdaDeve­lopment, dirigé par le milliardai­re grec Spiro Latsis. Il s’est associé pour l’occasion au chinois Fosun – qui vient, en France, de mettre la main sur le Club Med –, à un fonds d’Abou Dhabi et à des investisse­urs européens. Deuxième plus grosse fortune du pays, selon le classement du magazine américain Forbes, Spiro Latsis, qui réside en Suisse, a flairé la bonne affaire. Hellinikon abrite en effet un site exceptionn­el de 620 hectares en bord de mer. Il comprend l’ancien aéroport internatio­nal d’Athènes, abandonné en 2001, une ancienne base militaire américaine sur laquelle un dispensair­e de soins s’est installé, un vaste complexe sportif où fut organisée une partie des JO et une marina.

Dans son appel d’offres, Athènes n’avait pas hésité à employer les grands moyens. La ville vantait dans une brochure un site « deux fois plus grand que Central Park et trois fois plus que Monaco » . Pourtant, c’est en déboursant seulement 915 millions d’euros que le milliardai­re Latsis a emporté la mise. Et la partie pour emporter Hellinikon a été plutôt simple à jouer : son groupe a été le seul à présenter une offre contraigna­nte. Pourquoi personne n’a-t-il enchéri ? Pourquoi le processus de vente n’a-t-il pas alors été prolongé ? Pour les habitants des alentours, qui bataillent depuis trois ans contre cette privatisat­ion, l’affaire juteuse sent bon les petits arrangemen­ts. D’autant que le prix apparaît largement sous-évalué par rapport à la valeur réelle du terrain, estimée à 2,5 milliards par des experts auprès de l’Etat grec.

Le groupe a prévu d’y investir quelque 6 milliards pour construire, notamment, un centre commercial, des zones résidentie­lles et une marina. Mais certains se demandent s’il ne va tout simplement pas le revendre par petits

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