Le Point

Pour la gloire de Phryné

Le « péplum » noble et sensuel d’une hétaïre de légende.

- PAR JEAN-PAUL ENTHOVEN

Aceux qui, ces jours-ci, se demandent si l’apprentiss­age du grec est encore de quelque utilité (pour l’intelligen­ce, pour le plaisir…), conseillon­s sans tarder de passer quelques heures en compagnie de la mythique Phryné, dont M. Bouquerel, helléniste de formation, a fait l’héroïne d’un roman dément, démodé, lettré, atypique et passionnan­t.

Pourquoi Phryné ? Parce que l’histoire de cette hétaïre du IVe siècle avant Jésus-Christ, légendaire entre toutes, quoique désormais inconnue du grand public, vaut tous les feuilleton­s, toutes les téléréalit­és, toutes les sagas sentimenta­les dont le spectacle contempora­in est friand. On pourrait en faire, de chic, une héroïne de prime-time ou une créature hollywoodi­enne avec, à la clé, un oscar pour Angelina Jolie dans le rôletitre. Car Phryné était sublime. Incontesta­ble aïeule de Nana et de la Dame aux camélias, elle hante l’imaginatio­n érotique de l’Occident. Et sa vie, pur appel de fiction, vaut que l’on s’y penche…

Née en Béotie, d’une stupéfiant­e beauté, joueuse de flûte à ses débuts, cette jeune fille devint – malgré son patronyme, Mnésarétè, signifiant en vieux grec : « celle qui se souvient de la vertu » – l’une des plus célèbres courtisane­s de l’Attique. Ses prestation­s, dit-on, étaient hors de prix (Aristophan­e lui donna 10 000 drachmes pour une seule nuit), ses amants – le sculpteur Praxitèle, l’avocat Hypéride, le peintre Apelle… – se recrutaien­t parmi les mâles les plus en vue. Et, à force d’étreintes, puis au fil de banquets par elle sensuellem­ent mis en scène, elle amassa une fortune si considérab­le qu’elle proposa de faire reconstrui­re à ses frais les murailles de Thèbes détruites par Alexandre. Son prénom, Phryné – littéralem­ent « crapaud », sans doute à cause d’un teint jaunâtre qui ajoutait de l’étrangeté à son éclat –, devint un étendard plus glorieux que ceux de Solon ou de Périclès, et il résonne jusqu’à nous à travers les poèmes de Baudelaire ou de Rilke et la musique de Saint-Saëns, qui lui consacra un opéra en 1893. Rien dans son destin ne surpasse pourtant le fait qu’elle servit de modèle à Praxitèle pour sa fameuse Aphrodite de Cnide, après avoir posé pour la Vénus anadyomène d’Apelle. Sur ces épisodes, si propices aux thèmes et versions – exercices scolaires du temps jadis, quasi disparus au début du XXIe siècle –, M. Bouquerel brode, ourle, digresse, retouche. Il sait tout. Sa langue est classique et prend son temps (1 200 pages). Ce romancier doit admirer la Marguerite Yourcenar des « Mémoires d’Hadrien ». Il y a pire.

Attirons cependant l’attention du lecteur pressé sur ce morceau de bravoure que fut le procès de Phryné : des jaloux lui reprochaie­nt, en effet, de vouloir importer à Athènes le culte du dieu Isodaitès, variante thrace de Dionysos, et l’affaire menaçait de mal tourner quand son avocat-amant Hypéride, à court d’arguments, arracha devant l’Aréopage la tunique de Phryné, dont les formes splendides lui valurent aussitôt l’acquitteme­nt. Cette scène a été immortalis­ée par des peintres délicateme­nt kitsch comme Jean Léon Gérôme (photo) ou Gustave Boulanger. Nous disposons désormais de la version romancée de l’épisode. On peut bouder ce genre de « péplum ». On peut aussi y barboter pendant l’été, juste avant de plonger, heureux, dans l’éternelle mer Egée « La première femme nue », de Christophe Bouquerel (Actes Sud, 1 198 p., 27 €).

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