Natacha, Paco et le sale air de la peur
C ’est
rarement avec intérêt mais toujours avec plaisir qu’il nous arrive d’écouter à 8 h 30 la revue de presse de Natacha Polony sur Europe 1. Probablement à cause de l’agréable contraste de saveurs proposé entre d’un côté la douceur apaisante de sa voix, de l’autre la noirceur angoissante de ses commentaires pour décrire la tragédie permanente du monde, la folie et la cupidité des hommes et pour prédire les pires catastrophes.
Le fait est qu’après avoir entendu ses chroniques le moral a tendance à tomber dès le matin dans les chaussettes qu’on vient tout juste d’enfiler : le chaos financier est inéluctable, l’explosion sociale est imminente mais le désastre économique est déjà là et le malheur partout, le cataclysme écologique est inévitable, tout comme bien sûr la déflagration démographique. Bref, la fin du monde approche à toute allure, à cause, est-il besoin de le préciser, de cette mondialisation libérale destructrice et abjecte.
Il faut croire que les auditeurs aiment bien verser dans leur café du matin une cuillerée de pessimisme décliniste et de souverainisme décroissant. Loin de nous l’idée de trouver immérité le succès de la speakerine vedette de l’antilibéralisme. Au contraire, on ne peut que saluer la femme d’affaires avisée qui, comme avant elle Nostradamus et Paco Rabanne, a compris que prophétiser de grands malheurs représente un petit commerce prospère. Qu’il est médiatiquement plus rentable d’expliquer que « le système » court à sa perte plutôt que d’évoquer les progrès qu’il a permis. Pas question donc de signaler par exemple que le pourcentage de personnes très pauvres dans le monde a été divisé par quatre en trente-cinq ans (de 52,8 % en 1980 à 13,4 % en 2015), ce serait mauvais pour le juteux business du catastrophisme. Mieux vaut affirmer sur un ton larmoyant parfaitement travaillé que le monde vivait mieux hier et surtout annoncer que l’apocalypse est pour demain.
Pour se faire entendre et surtout bien voir, il est recommandé d’entretenir cette « peur exponentielle » , titre de l’essai original que vient de publier le mathématicien Benoît Rittaud (PUF). Une peur qui nourrit la plupart des discours alarmistes actuels à propos d’une humanité allant se fracasser à pleine vitesse contre les limites du monde : épuisement des ressources, surpopulation, réchauffement, etc. Même les nuls en maths ont une vague notion de ce qu’est une fonction exponentielle et surtout de sa représentation graphique (une pente très douce au départ, puis de plus en plus raide jusqu’à devenir quasi verticale), de nature à donner le vertige. Exemple : la légende entourant la naissance du jeu d’échecs. Il y a très longtemps un roi des Indes s’ennuyait tellement qu’il promit à celui qui parviendrait à le distraire la récompense de son choix. Un ministre dénommé Sessa inventa le jeu d’échecs, pour lequel le roi se prit de passion. Le roi interrogea son ministre pour savoir ce qu’il souhaitait en cadeau. Humblement, Sessa demanda au roi qu’on dépose un grain de blé sur la première case de l’échiquier, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite en doublant le nombre à chaque case jusqu’à atteindre la soixante-quatrième. Le roi jugea d’abord la récompense ridiculement modeste, mais ses comptables prirent vite peur quand ils calculèrent que la production de la terre tout entière serait insuffisante pour honorer la demande de Sessa, s’élevant… à 18 446 744 073 709 551 615 grains ! Le roi proposa alors son trône au rusé Sessa, qui refusa, se déclarant heureux d’avoir conquis l’estime de son souverain.
La peur d’une croissance de la population à un rythme exponentiel et beaucoup plus rapide que celle d’une production agricole augmentant seulement selon une suite arithmétique (1, 2, 3, 4, etc.) est au coeur de la pensée de Malthus. Qui préconisa du coup de limiter les naissances et d’écarter les plus pauvres « du grand banquet de la nature » afin d’éviter des famines généralisées. Si l’Histoire a démenti ses sombres prévisions, les néo-malthusiens du Club de Rome ont redonné vie au début des années 70