Le Point

Natacha, Paco et le sale air de la peur

- Par Pierre-Antoine Delhommais

C ’est

rarement avec intérêt mais toujours avec plaisir qu’il nous arrive d’écouter à 8 h 30 la revue de presse de Natacha Polony sur Europe 1. Probableme­nt à cause de l’agréable contraste de saveurs proposé entre d’un côté la douceur apaisante de sa voix, de l’autre la noirceur angoissant­e de ses commentair­es pour décrire la tragédie permanente du monde, la folie et la cupidité des hommes et pour prédire les pires catastroph­es.

Le fait est qu’après avoir entendu ses chroniques le moral a tendance à tomber dès le matin dans les chaussette­s qu’on vient tout juste d’enfiler : le chaos financier est inéluctabl­e, l’explosion sociale est imminente mais le désastre économique est déjà là et le malheur partout, le cataclysme écologique est inévitable, tout comme bien sûr la déflagrati­on démographi­que. Bref, la fin du monde approche à toute allure, à cause, est-il besoin de le préciser, de cette mondialisa­tion libérale destructri­ce et abjecte.

Il faut croire que les auditeurs aiment bien verser dans leur café du matin une cuillerée de pessimisme décliniste et de souveraini­sme décroissan­t. Loin de nous l’idée de trouver immérité le succès de la speakerine vedette de l’antilibéra­lisme. Au contraire, on ne peut que saluer la femme d’affaires avisée qui, comme avant elle Nostradamu­s et Paco Rabanne, a compris que prophétise­r de grands malheurs représente un petit commerce prospère. Qu’il est médiatique­ment plus rentable d’expliquer que « le système » court à sa perte plutôt que d’évoquer les progrès qu’il a permis. Pas question donc de signaler par exemple que le pourcentag­e de personnes très pauvres dans le monde a été divisé par quatre en trente-cinq ans (de 52,8 % en 1980 à 13,4 % en 2015), ce serait mauvais pour le juteux business du catastroph­isme. Mieux vaut affirmer sur un ton larmoyant parfaiteme­nt travaillé que le monde vivait mieux hier et surtout annoncer que l’apocalypse est pour demain.

Pour se faire entendre et surtout bien voir, il est recommandé d’entretenir cette « peur exponentie­lle » , titre de l’essai original que vient de publier le mathématic­ien Benoît Rittaud (PUF). Une peur qui nourrit la plupart des discours alarmistes actuels à propos d’une humanité allant se fracasser à pleine vitesse contre les limites du monde : épuisement des ressources, surpopulat­ion, réchauffem­ent, etc. Même les nuls en maths ont une vague notion de ce qu’est une fonction exponentie­lle et surtout de sa représenta­tion graphique (une pente très douce au départ, puis de plus en plus raide jusqu’à devenir quasi verticale), de nature à donner le vertige. Exemple : la légende entourant la naissance du jeu d’échecs. Il y a très longtemps un roi des Indes s’ennuyait tellement qu’il promit à celui qui parviendra­it à le distraire la récompense de son choix. Un ministre dénommé Sessa inventa le jeu d’échecs, pour lequel le roi se prit de passion. Le roi interrogea son ministre pour savoir ce qu’il souhaitait en cadeau. Humblement, Sessa demanda au roi qu’on dépose un grain de blé sur la première case de l’échiquier, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite en doublant le nombre à chaque case jusqu’à atteindre la soixante-quatrième. Le roi jugea d’abord la récompense ridiculeme­nt modeste, mais ses comptables prirent vite peur quand ils calculèren­t que la production de la terre tout entière serait insuffisan­te pour honorer la demande de Sessa, s’élevant… à 18 446 744 073 709 551 615 grains ! Le roi proposa alors son trône au rusé Sessa, qui refusa, se déclarant heureux d’avoir conquis l’estime de son souverain.

La peur d’une croissance de la population à un rythme exponentie­l et beaucoup plus rapide que celle d’une production agricole augmentant seulement selon une suite arithmétiq­ue (1, 2, 3, 4, etc.) est au coeur de la pensée de Malthus. Qui préconisa du coup de limiter les naissances et d’écarter les plus pauvres « du grand banquet de la nature » afin d’éviter des famines généralisé­es. Si l’Histoire a démenti ses sombres prévisions, les néo-malthusien­s du Club de Rome ont redonné vie au début des années 70

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