L’islam selon Baghdadi
« Ne faiblissez pas et n’appelez pas à la paix alors que vous êtes les plus hauts, qu’Allah est avec vous et qu’Il ne vous frustrera jamais [du mérite] de vos oeuvres. La vie présente n’est que jeu et amusement. » C’est par ces versets du Coran (sourate 47, versets 35-36) qu’Abou Bakr al-Baghdadi, le leader de l’Etat islamique (Daech), encourageait ses troupes le 29 juin 2014, jour de l’inauguration du nouveau califat. Des mots d’une grande violence qui, au VIIe siècle, étaient destinés à galvaniser la jeune communauté musulmane partie à la conquête de l’Arabie et qui servent aujourd’hui, tels quels, pour semer la terreur partout dans le monde. La tactique est imparable : pour les musulmans, le texte sacré de l’islam a été dicté par Dieu à Mahomet. Il n’existe donc pas de passeport plus efficace ni d’arme plus puissante. Les opposants à Daech ont-ils pour autant tort de dire que son islam barbare n’est pas le vrai islam ? Oui et non. Oui, car le Coran se prête à toutes les interprétations. C’est un texte obscur et bourré de contradictions : dans un verset, Dieu dit qu’il faut respecter les juifs parce qu’ils sont monothéistes, dans un autre, qu’il faut les exterminer. Difficile de s’y retrouver. Or l’islam n’ayant pas d’autorité suprême qui dise « la loi », n’importe qui peut en théorie proposer sa lecture des textes. C’est pourquoi, dès la mort de Mahomet, les exégètes ont essayé de trouver des règles de lecture du Coran et un mode d’organisation juridique qui permette de régir une société de plus en plus composite. Fondé sur les textes et le consensus de la communauté, le droit va ainsi devenir la science fondamentale de l’islam. Il va s’orienter autour de deux axes, d’un côté les partisans de la libre pensée, qui acceptent la diversification des sources de la loi, y compris celles des autres religions monothéistes tant que celles-ci vont dans le sens de l’intérêt général. Et un courant conservateur qui s’attache à la tradition des premiers musulmans ( salaf) et à la lettre du texte, position qui sera radicalisée par Ibn Hanbal. Dès le XIIIe siècle, du fait notamment des troubles politiques, le courant conservateur l’emportera, avec des penseurs comme Ibn al-Salah puis Ibn Taymiyya. Ibn Abd al-Wahhab, le fondateur du wahhabisme, donnera un tour de vis supplémentaire au XVIIIe siècle. C’est dans ce courant que s’inscrit Al-Baghdadi, tout en le trahissant : le politique se moque en effet comme d’une guigne du consensus de l’oumma, la communauté des musulmans. C’est en cela que son islam iconoclaste n’est pas l’islam