Le vieil homme et la glace
Claude Lorius, glaciologue de génie, est le héros du dernier documentaire de Luc Jacquet. Portrait.
«R echerche jeunes étudiants pour participer à l’Année géophysique internationale. Bonne condition physique exigée. » On est en 1955. Claude Lorius ne sait pas encore que cette petite annonce aperçue par hasard à l’université de Besançon va bouleverser sa vie. Entre Tamanrasset, en Algérie, pour observer le ciel, et la station Charcot, au pôle Sud, pour scruter les glaces, il choisit la deuxième option, attiré par les solitudes blanches et les horizons encore inexplorés de l’Antarctique. « Je suis parti à un moment unique de l’histoire de l’humanité. Une douzaine de pays envoyaient de jeunes chercheurs pour participer à cette grande aventure : nous avions un continent entier à étudier. » A Charcot, ce séjour de pionnier n’a pourtant rien d’une sinécure. Claude Lorius partage pendant un an une petite cave de 20 mètres carrés chauffée à 8 °C, avec deux complices, Jacques Dubois et Roland Schlich. « Dès qu’on ouvrait la porte, il faisait – 40 °C. Pour ne rien arranger, notre éolienne est tombée en panne, et on n’a pas eu de liaison radio avec la base la plus proche – 350 kilomètres ! – pendant trois mois. »
Rien qui puisse le refroidir : à peine rentré, Claude ne pense qu’à repartir. « A partir de cet instant, j’aurai 24 ans jusqu’à la fin de mes jours », avoue-t-il. Il en a aujourd’hui 83, et son audace est intacte. Au terme d’une brillante carrière – il est médaillé d’or du CNRS –, après avoir participé à vingt-deux expéditions polaires, le discret glaciologue est aujourd’hui le sujet du dernier documentaire de Luc Jacquet, « La glace et le ciel », projeté hors compétition en clôture du Festival de Cannes, et sorti mercredi en salles. Oscarisé en 2006 pour « La marche de l’empereur », Jacquet nous plonge cette fois-ci, grâce à d’étonnantes images d’archives retravaillées – et pour certaines sonorisées –, dans les mystères de la banquise que Lorius est l’un des premiers à avoir fait parler. C’était dix ans après Charcot, un soir de l’été 1965, alors qu’il buvait un whisky avec Bill Budd, un collègue australien, à la base antarctique Dumont-d’Urville. En observant les bulles s’échapper du morceau de glace jeté dans son son verre en guise de glaçon, Lorius a une intuition : et si on analysait ces bulles, témoins de la composition de l’atmosphère à travers les âges ? En pleine guerre froide, l’explorateur va travailler de